mardi 2 septembre 2014

En guise d'au revoir.

Je vous souhaite à tous une excellente année scolaire, pleine de découvertes et de joies ! Travaillez bien.
Je vous laisse ici le commentaire rédigé, avec les titres et les sous-titres, et quelques abréviations, pour vous aider.
MAIS il ne faut jamais les écrire lorsque vous faites un commentaire, tout doit être rédigé sans aucune trace matérielle de plan, titres et sous-titres, et sans abréviations.

LA PRINCESSE DE CLÈVES
Commentaire



INTRODUCTION


Paru en 1678, La Princesse de Clèves , roman de Mme de Lafayette s’ouvre sur la cour du Roi Henri II.
Ce portrait inaugural des plus hauts personnages du royaume se laisse lire de prime abord comme un éloge des fastes de la Cour. Sous cet éloge apparent se dessine cependant un jugement très critique. L’enjeu de la lecture est alors de comprendre comment l’écriture de Mme de Lafayette, soumise aux contraintes de l’ouverture romanesque, réussit à livrer un blâme sous les dehors de l’éloge.
Afin de mener à bien l’étude cette écriture il conviendra tout d’abord de montrer que cette brillante galerie de portraits semble annonciatrice d’un roman historique, héroïco-tragique. Mais la présence mesurée de la narratrice nous conduira ensuite à nous interroger sur la dimension ironique de ses interventions. Il sera alors temps de mettre en évidence une esthétique originale et exigeante, livrant les clés d’un roman du secret.


  1. Une brillante galerie de portraits annonciatrice d’un roman à la fois héroïque et tragique.

    1. Un ancrage historique immédiat et prégnant.
-Chronotope les dernières années du règne d'Henri II et la Cour.
-Noms des personnages historiques
L’Histoire est convoquée à chaque ligne, par les puissants de la Cour, leur noms et leurs titres. Il s’agit de personnages réels et le lecteur attend alors les personnages proprement romanesques.

    1. Des portraits brillants.
-Les hyperboles : « magnificence »,  « jamais », « tant d’éclat », « pas moins violente », « pas moins éclatants », « tous les jours », « partout ».
L’hyperbole structure le texte jusqu’à apparaître comme la seule figure, omniprésente.
-Accumulation des titres, des reprises de titres et des particules de noblesse.

    1. Une annonce en creux.
Au sein de ce décor on cherche en vain la Princesse de Clèves. Son absence semble destiné à provoquer l’attente du lecteur invité alors à lire en creux des annonces dans ce début ob ovo digne de la tradition du roman épique et héroïque où les auteurs tracent d’abord la généalogie des héros avant de les présenter en action.On remarque alors que se dessine dans le portrait les prémices d’une tragédie : dans cet univers de Cour, la mort rappelée du Dauphin annonce une catastrophe. La passion du Roi et la « dissimulation » de la Reine laissent présager aussi des péripéties héroïco-tragiques, les témoignages éclatants de la passion pour la maîtresse s’opposant aux témoignages dissimulés de la jalousie.

Plongé dans l’histoire et l’éclat de la Cour le lecteur est comme invité à une lecture en creux de la suite du roman ; son horizon d’attente semble celui d’un roman héroïque et tragique. Cependant l’ouverture est ambiguë, retardant l’entrée du personnage éponyme et instaurant une contradiction entre la première phrase et la dernière du texte, opposant la magnificence et la galanterie à la politique. Cette ambiguïté n’est-elle pas d’ailleurs commune aux trois portraits ? Dès lors l’apparent éloge des trois personnages ne tourne-t-il pas au blâme de leur conduite ?

  1. Une narratrice ironique ?

    1. Le portrait d’un roi peu soucieux de régner.
Le portrait du roi est l’occasion d’une très brève description, trois adjectifs qui le placent exclusivement sous le signe du corps « bien fait » et du sentiment « galant » et « amoureux ». Le deuxième paragraphe semble insister sur le corps et sa domination sur l’esprit puisque la phrase commence par une circonstancielle de cause « comme il réussissait admirablement… » qui dicte les occupations du Roi. Le corps apparaît comme la source du comportement royal. Enfin, les allusions à la mort du dauphin qui aurait « dignement » remplacé François premier dévalorisent indirectement Henri II.
    1. Diane de Poitiers : une grand-mère indigne ?
La maîtresse du Roi n’est guère favorisée non plus. En effet le personnage n’est pas décrit. Elle n’est présentée que dans sa position de maîtresse du Roi, depuis vingt ans, ce qui peut s’entendre comme une allusion à leur différence d’âge. Cette question de l’âge suscite l’attention du lecteur qui apprend au deuxième paragraphe qu’elle est grand-mère, et une grand-mère âgée puisque sa petite fille est en âge de se marier. Enfin le verbe « apparaître » la place aussi sous le signe des apparences et non de la vérité. Au final, le ton de la narratrice à son égard semble plus ironique que bienveillant. Cette ironie à l’égard d’une maîtresse vieille mais habillée comme sa petite-fille renforce par contrecoup la dévalorisation du Roi.

    1. La Reine : une douceur peu amène.
La Reine n’est pas nommée bien qu’il soit clair pour le lecteur contemporain de Mme de Lafayette qu’il s’agit de Catherine de Médicis. Sa description physique est brève- comme ce sera le cas pour tous les personnages du roman. Pourtant le trait de beauté est immédiatement contrebalancée par l’âge et l’antithèse semble un euphémisme. Au contraire du Roi c’est sous le signe du politique que la Reine apparaît, son « humeur ambitieuse » occupe un paragraphe non sa beauté. Le dernier paragraphe est souvent modalisé, « il semblait », « il était difficile de juger » car la narratrice prend de la distance par rapport au personnage historique. C’est pour mieux faire ressortir les qualités qu’elle lui prête : « une si profonde dissimulation ». La phrase non seulement porte l’intensif mais est exempte de modalisation ce qui par contrecoup annule « semblait » . C’est bien un jugement de Catherine de Médicis et il n’est pas élogieux.


Mais alors s’il s’agit bien d’un blâme dissimulé ici, que reste-t-il de l’ouverture promise, de la grandeur et de l’éclat ? Ce qui se donne à lire est en fait le fruit d’une esthétique, la préciosité, qui joue sur le lexique, la construction et les figures, la culture et la complicité du lecteur enfin, comme le bon ton de la conversation le veut dans les salons.

  1. Une esthétique originale qui sollicite le lecteur.
    1. Le choix du lexique.
Le lexique de Mme de Lafayette échappe aux excès précieux que Molière a tournés en dérision. Mais elle fait un usage subtil de nombreux mots. Ainsi le verbe « paraître » est le premier verbe du roman, plaçant celui-ci sous le signe des apparences et de la superficialité, idée renforcée par l’emploi du verbe deux fois pour Diane de Poitiers. Dualité entre l’extérieur, ce qu’on montre et que les autres peuvent admirer, cf « admirablement », et ce que l’on cache mais que la narratrice va dévoiler car elle sait qui « dissimule ». Notons encore le doublement de témoignages, décliné en nom pour le roi et verbe pour la reine. L’expression « souffrît sans peine », où le verbe « souffrir » signifie « supporter » dans son sens classique du XVIIè, peut aussi s'entendre comme un oxymore et jouer le rôle de démenti de l’apparent stoïcisme de la reine.

    1. Un usage de la subordonnée à des fins ironiques
Le style de Mme de Lafayette se cache aussi dans sa virtuosité pour enchâsser les subordonnées et y dissimuler un jugement. Ainsi dans le deuxième paragraphe la deuxième phrase nous révèle que Diane de Poitiers est une grand-mère âgée mais seulement dans la troisième subordonnée, où l'on apprend que sa petite-fille est à marier, ce qui crée un effet de chute presque comique. Dans le troisième paragraphe la troisième phrase contient deux subordonnées circonstancielles de temps et la seconde contient elle-même deux relatives. C’est dans la dernière relative que se trouve indirectement par contrecoup une possible critique d’Henri II. En apparence les informations concernent son frère. Mais le frère devant remplacer « dignement » son pèere, Henri II devient moins digne. Il faut aussi s’interroger sur le possessif « son » surprenant car le sujet de la principale est Henri II et grammaticalement « leur » serait plus approprié. Ne faut-il pas dès lors envisager que la narratrice nie en quelque sorte non seulement la dignité mais la légitimité d’Henri II ?

    1. Des informations à double sens
C’est bien le propre de l’esthétique précieuse que de cacher du sens, de laisser la possibilité d’une double entente, sous le signe de la litote ou de l’euphémisme. Il faut alors convoquer l’histoire pour entendre mieux Mme de Lafayette. Ainsi les vingt ans de la passion ne cachent-ils pas la différence d’âge du roi et de Diane de Poitiers ? L’habileté du roi n’est-elle pas mise à mal par sa mort en tournoi justement par maladresse ? L’histoire qui nous enseigne que Diane fut aussi la maîtresse du père, donne un sens particulier à l’expression « prendre la place de son père » employée pour le Dauphin quand il s’agit de régner, mais ce fut en plusieurs sens le cas de Henri II. Enfin le lecteur de l’époque n’ignore pas que la douceur de la Reine fut responsable du massacre de la Saint-Barthélémy en 1572 , et que son manque de jalousie la conduisit à priver Diane de Poitiers du château de Chenonceaux et à la chasser de la Cour après la mort du Roi

CONCLUSION


Ce début de roman semble être le lieu de portraits brillants annonciateurs d’un roman historique, héroïco-tragique. Cependant la narratrice s’y révèle ironique voire acerbe. L’esthétique précieuse semble alors exiger un lecteur attentif et perspicace soucieux de participer à l’élaboration d’un sens qui se dissimule sous les apparences de la limpidité.
On peut d’ailleurs voir là la véritable annonce de cette ouverture : La Princesse de Clèves est un roman du secret sans cesse dévoilé, sans cesse dissimulé.






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mercredi 11 juin 2014

René Char « Alberto Giacometti », Recherche de la base et du sommet 1954

René Char « Alberto Giacometti », Recherche de la base et du sommet 1954


Les sculptures de Giacometti nous sont familières. La poésie de René Char moins. Nous savons souvent qu’il a été résistant, mais sa poésie est réputée difficile. En 1954, dans un recueil de poésies en prose, Recherche de la base et du sommet, où il affirme son admiration pour des peintres et des sculpteurs qui sont souvent ses amis, Char rend hommage à Alberto Giacometti dans un poème en prose du même nom.

Lecture

Le mouvement du poème fait se succéder la description d’une cour de ferme au petit matin, avant le réveil des habitants et le récit de l’apparition d’un « couple de Giacometti » qui semble droit sorti du rêve du sculpteur que la dernière phrase, telle une clausule, donne dormant dans la chambre d’amis. Nous nous demanderons quelle vision de l’homme poétiquement transparaît au travers de l’éloge de Giacometti. Pour ce, nous examinerons tout d’abord la mise en récit puis nous nous intéresserons à la description du couple et enfin au travail sur le langage.




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René Char donne à lire un récit dont, au moins sur le plan formel, nous pouvons dire qu’il est fort classique. Les premiers verbes sont à l’imparfait, temps de la description pour le récit au passé, temps du second plan, « pendait », « laissait », « s’étalait », « n’osait », « réclamait ». Le décor installé, les personnages apparaissent et l’auteur utilise le passé simple, « parut », « s’arrêtèrent », « humèrent », « toucha ». Ce récit comprend des personnages. Outre le « couple de Giacometti » on note « le propriétaire » du linge, les « paysans », le « fermier » et « le grand Giacometti ». Les personnages évoluent dans des lieux, « la campagne », « l’aire », « la maison », « la chambre ». L’histoire se passe à un moment précis, le petit jour, « le matin ».
Cependant dans cet ancrage spatio-temporel, une figure récurrente donne à l’ensemble un aspect étrange : la personnification. Alors que les hommes ne sont pas encore éveillés tout l’environnement est personnifié. Ainsi le linge peut « passer la nuit dehors », plus loin il « s’effraya », la campagne « n’osait babiller », les paysans vont bientôt éveiller « les seaux et outils », la « basse-cour réclamait » et enfin l’eau « se réjouit » et « percevait la lointaine signification ». Le monde naturel est personnifié, en l’absence des hommes, « les cultures désertes ».
Ce récit semble alors opposer une nature vivante, dont « la beauté était totale » à un monde humain grossier, à « large serrure » » et « « grosse clé ». La conjonction de coordination « car » lie la beauté de ce monde à l’absence des hommes. C’est dans ce vide d’hommes que va apparaître le « couple de Giacometti ».


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Le couple de Giacometti est signalé comme statue par le nom du sculpteur mais la préposition « de » offre comme un lien familial entre le créateur et ses créations. Char semble ignorer le caractère de statue de l’œuvre pour lui conférer une dimension humaine. Les deux statues sont un « couple », presque de la famille Giacometti.
Le récit les isole non seulement par le passé simple mais également par leur abandon du « sentier proche ». Ce sentier semble bien une métaphore, pour un art qui s’écarte justement des sentiers battus. L’apparition « sur l’aire » renvoie peut-être au domaine mathématique, comme dans le titre du recueil, « base » et « sommet », mais présente également une ambiguïté phonétique. Toute la description qui pourra commencer s’attache à conférer au couple la dimension de symboles. Le physique offre peu d’intérêt, « nus ou non ». La description est faite sans verbe par phrases adjectivales et autour de trois comparaisons « comme », « tels », « à la manière de ». L’ensemble des comparants renvoie à la guerre : « églises brûlées », « décombres », « beaucoup souffert », « perdant leur poids et leur sang ». Le couple s’assimile à toutes les victimes de guerre, sortant en quelque sorte des décombres. La forme si particulière des statues de Giacometti trouve ici une explication, une origine.
Mais ce statut de victime se mêle à un caractère sacré, « les vitraux », « églises » et « gracieux » qui phonétiquement associe la grâce et les cieux. Surtout la suite de la description oppose ce statut de victime, « cependant », à un autre, celui en quelque sorte de résistants. La dernière comparaison donne un comparant humain « ceux qui se sont engagés sans trembler ». Cette fois la victime sacrée a reconquis sa dignité- « hautains de décision »- et l’adjectif « irréductible » souligne cette reconquête par un transfert sémantique de la lumière au couple, un hypallage. Ce que Char voit dans la sculpture de Giacometti c’est l’humanité sortie de la guerre, comme rudérale (qui croît dans les décombres) mais grandie par son engagement, non seulement victime mais fière.
Davantage, il semble voir aussi une promesse celle de la fécondité. Le geste de l’homme sur le ventre, l’échange de regard, surtout l’approbation de l’eau, appellent une interprétation en ce sens. Char crée ainsi l’espoir reliant l’humanité du désastre à celle de demain, avec la tranquille présence du principe de vie immémorial, l’eau dans son puits profond. Les origines de la vie sont protégées- « petit toit de granit »- et Giacometti offre à l’homme une descendance. Le passé, « l’eau », le présent, « le couple » et l’avenir « la lointaine signification » se trouvent ainsi réunies dans le sommeil du sculpteur.
Dès lors il semble que le récit de Char soit celui du rêve de Giacometti.
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Ce récit de rêve est porté en permanence par une poésie du langage.
Elle est d’abord crée par la multiplicité des images. Les personnifications de la nature, bien sûr, sont accompagnées de réifications pour le couple, assimilé aux « églises » et aux « décombres ». Ces transferts de sens par comparaison ou métaphores donnent une force d’évocation au texte que souligne aussi la polysémie des expressions. Ainsi le « sentier proche » désigne également les voies convenues de l’art, les « cultures désertes » renvoient à la civilisation autant qu’aux champs. Le langage obtient ici, comme toujours en poésie, un supplément de sens. Un « sens plus pur » aurait dit Mallarmé.
Simultanément il se déploie comme matériau sonore. On note de nombreuses allitérations- en « s » dans la deuxième phrase, en « r » dans la dernière. La répétition de « linge » participe d’une recherche mélodique. On la trouve également dans les vers cachés, la dernière phrase est composé d’un décasyllabe entouré de deux octosyllabes. Ainsi se crée une langue particulière qui exprime elle aussi le rêve de Giacometti. Le poème est pris dans la section « Alliés substantiels ». Char rend hommage aux alliés non négligeables-« substantiels »- que sont les artistes plasticiens pour le poète, et il les accompagne dans le travail sur la substance qu’est pour lui le verbe, la langue.
Et pour mieux souligner cette alliance le « yod » du nom de Giacometti se trouve comme scandé dans le texte par les multiples occurrences du phonème : « insouciant-propriétaire-pierre-babiller-éveiller-gracieux-décision-manière-passionnés-laurier-effraya-aboyer-remercia-signification ». Le monde réel et sonore s’emplit du sculpteur.

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Dans cet hommage à Giacometti, René Char donne vie au travail du sculpteur, à la manière d’un récit de rêve. Il offre ainsi son interprétation du travail de son ami. Par le travail du verbe, il rend compte du travail sur la matière qui ne fait que dire l’espoir en l’homme et la femme, en l’humanité, malgré les désastres. Ainsi s’éclaire le travail du sculpteur comme celui du poète, une recherche tant de la base, ce qui fait l’homme, que du sommet, ce que fait l’homme.

mardi 27 mai 2014

Spleen LXXV

Le Spleen LXXV est le premier d’une série de quatre dans la première section des Fleurs du Mal, « Spleen et Idéal ». Il succède à la série sur l’Idéal et à un poème qui annonce l’échec du poète à s’y élever, La Cloche Fêlée. Inaugurant le cycle des Spleen ce poème reçoit donc la mission de définir cette notion qui n’est pas exclusivement baudelairienne mais que Baudelaire a certainement comme nul autre perçue comme consubstantiel à son être et à son travail poétique. Nous souhaiterions nous interroger ici sur la manière dont Baudelaire allégorise un état d’âme à travers une succession d’images au sein d’une forme très codifiée : le sonnet. Ainsi nous étudierons tout d’abord l’omniprésence de la mort, qui envahit les quatre strophes et presque chacun des quatorze vers. Puis nous nous demanderons si le spleen n’est pas une autre forme de mort, la perte de toute sensibilité. Enfin nous tâcherons de montrer que la poésie, si elle offre au poète un répit face au spleen, lui donne aussi l’occasion d’en désigner l’origine dans une vision qui nous semble chrétienne.

  1. Omniprésence de la Mort.
    1. Le mouvement du sonnet mouvement du spleen : la mort envahit l’espace.
Faire un relevé vers par vers des occurrences, décrire le mouvement d’abord vertical puis horizontal mouvement descendant, écrasant
S1 le ciel sur la ville, S2 le carreau (sol mais aussi vitre) et la gouttière (descendant ou horizontal) S3 et S4 horizontal bourdon bûche pendule jeu cartes.
    1. Spleen ce jour, spleen toujours : une invasion spatiale et temporelle.
Texte au présent mais présence du passé (irrité, défunts) et du futur par les cartes qui disent l’avenir+ fatal.
    1. La mort contamine l’espace, le temps, les êtres et les choses.
Habitants périphrase euphémisme, faubourgs métonymie, poète fantôme, vieille héritage chat semble échapper à la mort mais sa vie est sans repos à la recherche d’une litière = cercueil ?

  1. Le spleen comme perte de la sensibilité.
    1. Le froid, gel des sens.
Occurrences froid frileux + recherche de sonorités fricatives FR BR DR TR et RF RD RB RT
    1. Les parfums, les couleurs et les sons ne se répondent plus.
Disparition progressive des sens dysphonie, rupture d’harmonie."fausset", "sales parfums"



  1. La création poétique, répit du remords.
    1. Le spleen punition divine
Personnification Pluviôse, maj +premier mot+urne
Le Déluge, Sodome et Gomorrhe.
    1. L’intériorisation du mal
La vieille hydropique, dévalorisation par substantivation de l’adj, rime inclusive dame de pique hydropique et inclusion du mal par la rime et par l’eau. Rôle de la femme.
    1. Jeu poétique
Sales parfums écho de l’oxymore Fleurs du Mal, le jeu peut se lire comme le travail de la création, un dialogue entre l’Amour et la Mort, les cartes n’étant autre que les poèmes. Une poésie qui « cause » (rime avec pluviôse) sinistrement mais qui demeure la seule voix perçue par le poète.
Conclusion :
Ce premier « Spleen » de la série offre une vision de la mort généralisée qui tend aussi à ôter du monde toute sensibilité et à rompre toute harmonie. Le spleen devient comme une faute intérieure que la poésie ne peut faire cesser mais se contente d'évoquer. Ce premier des quatre « Spleen » n'est pas le plus désespéré. La clôture de la série ôtera en revanche tout espoir.

dimanche 25 mai 2014

Correspondances - Les Fleurs du Mal

Correspondances
IV
Section Spleen et Idéal


Quatrième poème de la section, ce sonnet occupe une place de choix dans la première section des Fleurs du Mal, au début d’une série qui concerne la fonction, le rôle du poète. Il succède à « Bénédiction » (la mère : « Ah que n’ai-je mis bas tout un nœud de vipères »), à « L’Albatros » (« Le poète est semblable au prince des nuées ») et « Élévation » (« Mon esprit tu te meus avec agilité »), trois poèmes qui semblent décrire un mouvement ascendant celui de la quête vers l’Idéal.
LECTURE
Ce sonnet apparaît comme un sonnet didactique (=qui expose une leçon) sur les correspondances. Que sont les correspondances et en quoi nous renseignent-elles sur le monde, telle est la question à laquelle répond le sonnet dans les deux premiers quatrains, puis les tercets illustrent la théorie à travers les parfums décrits dans une dichotomie qui oppose l’innocence et la pureté à la sensualité. Nous examinerons tout d’abord le sonnet comme une théorie des correspondances, puis nous analyserons la description des parfums et enfin nous voudrons voir dans « Correspondances » l’ébauche d’un art poétique.

  1. La théorie des correspondances
Le sonnet s’énonce au présent de vérité générale, des formules semblent des définitions « il est… ». Quelle est la conception de Baudelaire ?
    1. Il envisage tout d’abord l’univers comme un tout, une unité.
Plus tard en 1861, parlant de Hugo, il écrira : « (…) les choses s’étant toujours exprimées par une analogie réciproque, depuis le jour où Dieu a proféré le monde comme une complexe et indivisible unité ». Cette vision s’associe à une vision panthéiste (Dieu partout dans la nature) signalée par le « N » de Nature, la métaphore du temple et la présence de l’encens. L’Homme n’est qu’un élément fugitif, éphémère, il « passe » tandis que tout vit autour de lui. Les « vivants » piliers, les « paroles », « observent » « regards familiers » sont autant de termes qui personnifient le monde. Mais Baudelaire s’éloigne ici des Romantiques en ce qu’il ne décrit pas la nature, le paysage. Les éléments naturels sont surtout métaphoriques « forêt » ou étayent une comparaison « prairies ».
    1. L’unité du monde est un reflet de l’Idéal.
L’image des piliers suggère un correspondance verticale entre le haut (l’Idéal) et le bas le monde humain. Ce monde d’en haut livre un message et porte en bas comme des reflets ce qu’il est en haut. Ainsi l’univers de l’homme devient peuplé de symboles, qui sont comme les deuxième moitiés (voir étymologie de symbole) d’une vérité idéale. L’idée de verticalité se retrouve dans la « profonde » unité.
    1. Les correspondances sont aussi horizontales c’est-à-dire qu’elles concernent non plus le lien Idéal-monde mais le monde lui-même.
Le tout, l’unité est à retrouver en retrouvant les liens entre les différents objets de notre monde qui communiquent entre eux et sollicitent nos différents sens. Ce qui nous parvient nous parvient mélangé, « confus » comme des échos qui se « confondent ». Le terme de correspondances prend tout son sens dans le huitième vers, définitoire : « Les parfums les couleurs et les sons se répondent ». Les correspondances évoquent l’adéquation, le lien logique entre nos différents sens mais également les réponses qu’ils se donnent entre eux comme on entretient une « correspondance » en se répondant par lettres.

Ainsi le sonnet livre une sorte de théorie de l’univers où se trouvent définis la nature et l’homme.
Les parfums viennent alors livrer un exemple de ces correspondances à l’œuvre autour de nous.


  1. Son illustration par les parfums(à développer par les citations du texte)

Le parfum renvoie assez clairement aux Fleurs par métonymie, et il est aussi un aspect des fleurs.
    1. l’association des sensations.
Les deux tercets illustrent le vers 8. Ainsi toutes les comparaisons des vers 9-10 associent la perception olfactive à trois autres. « Chairs d’enfants » renvoie au toucher, etc. Mais chaque adjectif est lui-même polysémique, ainsi « frais », « doux » et « vert » renvoient à la jeunesse et à l’innocence, la pureté. La correspondance s’établit entre des sensations et un état.
    1. L’antithèse
Le vers suivant marque une rupture : « il en est d’autres »
La sphère sociale semble convoquée de nouveau par la polysémie « corrompus, riches et triomphants ». Le premier adjectif signifie en un sens déjà ancien au XIXème siècle, en décomposition. Plus communément il signifie mauvais au sens moral.
Le comme n’est plus ici comparatif mais introduit des exemples. Les parfums cités sont marqués par une double origine végétale pour l’encens et le benjoin, animale pour l’ambre et le musc. Cette dualité prépare celle de l’alliance dans le transport de « l’esprit et des sens ». On retrouve ici l’image déjà suggérée dans « L’Albatros » de l’homo duplex, fait de chair et d’âme, mais réconcilié dans l’infini du parfum, où spiritualité et sensualité entrent en correspondances.




  1. et par une écriture poétique correspondante.
Le poème de Baudelaire ne se contente pas d’illustrer les correspondances par le parfum. Il les met en œuvre dans son écriture même, comme si le déchiffrement du symbole revenait à l’artiste. Il faut aux correspondances une langue correspondante.
    1. Cette langue repose sur l’analogie
Le déchiffrement amène le poète à effectuer des rapprochements fondés sur la ressemblance. La figure de style privilégiée est la métaphore (nature temple, forêt de symboles, vivants piliers). La comparaison est aussi une figure de choix, six occurrences de « comme » et celui du dernier tercet, qui commencent comme correspondances.
    1. Sur l’harmonie
La langue se fait imitative. Ainsi le vers 5
« Comme de longs échos qui de loin se confondent » répète les consonnes KDLK KDLK dans un écho sonore qui double le signifié par le signifiant (le sens par le son).
    1. Et sur l’alliance des contraires
Enfin le poète joue sur l’alliance des contraires –titre du recueil et de la section- qui se retrouve dans les figures d’oxymore et d’antithèses. Oxymore vaste comme la nuit et comme la clarté, antithèse « il est- il en est d’autres », « l’esprit -les sens ».
Le dernier vers contient également une rime pour l’œil qui s’oppose en quelque sorte à a rime pour l’oreille mais rend compte ainsi encore d’une synesthésie qui mélange deux sens : l’auditif et le visuel.


« Correspondances » développe une théorie universelle de déchiffrement. Baudelaire y donne à la fois les clés de sa vision du monde, hiéroglyphique et dichotomique, déchiffrable pour le poète, mais également un art poétique de la correspondance en action, qui fait du langage non un reflet du monde mais un objet de ce monde.

jeudi 15 mai 2014

Plan de commentaire pour l'article Guerre du DDP

Plan d'étude pour l'article « Guerre » du Dictionnaire philosophique portatif


A la Renaissance, Machiavel dans Le Prince écrit qu'un monarque doit avoir « l'art de simuler et de dissimuler » ou encore « Le Prince ne doit pas être remarquable, mais il doit être tenu pour remarquable », et qu'il doit tenir un équilibre entre cruauté et pitié.
Au XVIIIème siècle Frédéric II de Prusse écrit L'Anti-Machiavel.L'ouvrage de FII tâchait de prendre le contre pied de ces recommandations. L'anti-Machiavel de Frédéric II de Prusse a été relu et corrigé par Voltaire à la demande de FII.
Au regard de l'attitude de FII devenu roi, L'Anti-Machiavel est« un cimetière de bonnes intentions » et peut-être Voltaire se venge-t-il un peu dans le Dictionnaire philosophique portatif de 1764 sous-titré La Raison par l'alphabet dans son article « Guerre ».
Lecture
Cet extrait de l'article se présente sous la forme d'un récit qui dénonce. Le recours au narratif est une arme fréquente chez Voltaire. Comment Voltaire fait-il du récit un réquisitoire ? Il sera tout d'abord possible d'étudier la manière dont l'anecdote devient universelle puis de montrer comment Voltaire désigne des responsables tout en indiquant ses préférences philosophiques.

  1. De l'anecdote à l'universel
    1. Des personnages de plus en plus nombreux
    le début est comme un conte, au moins le début d'une histoire. La présence des indéfinis contribue à lui donner une faible portée. Pourtant peu à peu la multiplication des acteurs vient accentuer son importance.
    2. Une chronologie accélérée
    asyndète absence de coordination, de subordination. Juxtaposition qui renforce l'impression de chaos.
    3. Une guerre universelle infantile et absurde


  1. Un réquisitoire contre les lois qui mènent à la guerre
    1. Les responsables désignés de la guerre
    a. Le pouvoir héréditaire
    b. L'avidité territoriale
    c. Le droit divin- l'église catholique
    2.En creux Voltaire appelle de ses vœux un régime politique différent
    a. La question du consentement—droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
    b. La protestation-----la question de l'opinion publique et de la liberté d'expression


Conclusion Cet extrait de l'article Guerre ressemble à un apologue aux multiples cibles. Il ne repose pas sur le pathétique, comme les articles de l'Encyclopédie ou le chapitre 3 de Candide. Il fait appel à la raison, montre l'absurdité de la guerre et offre en filigranes des perspectives de changement. Voltaire reste fidèle à son parti pris narratif comme arme argumentative, il n'en est pas moins efficace que ses contemporains encyclopédistes.

Plan d'étude chap 19 Candide

Les textes des Lumières contre l'esclavage ne sont pas si nombreux. On connaît le texte de Montesquieu extrait de L'Esprit des lois, et intitulé « De l'Esclavage des nègres », texte ironique mais ambigu au point qu'on l'a retrouvé avec le Code Noir dans certains bateaux négriers, ou encore plus explicite l'article « Traite des Nègres » de l'Encyclopédie, de Jaucourt, tardif puisqu'à la lettre « T ». Rousseau n'écrira pas de texte spécifique. Voltaire y consacre le court chapitre 19 de Candide.

A peine sorti de l'Eldorado avec Cacambo, à peine sorti du paradis en quelque sorte, Candide se heurte à une des terribles abominations de l'Ancien Régime, l'esclavage. Il rencontre aux portes de Surinam, en Guyane hollandaise, un esclave. Dans la tradition du dialogue philosophique celui-ci va lui apprendre sa situation.

Lecture

Petite scène fidèle aux habitudes de Candide, cette rencontre permet un exposé fidèle, concis, vivant de la condition de l'esclave et des aspects de la traite. Nous pourrons ainsi examiner les éléments du dialogue puis le pathétique propre à cette scène.



  1. L'esclavage, le « nègre » : un narrateur hors-pair, un philosophe expert
    1. des conditions terribles régies par le Code Noir
    Les allusions de Voltaire sont transparentes pour qui connaît le Code Noir. Chaque évocation par l'esclave d'un aspect de son existence est une référence au texte juridique institué sous Colbert pour réglementer l'esclavage. La fiction hollandaise laisse donc transparaître une situation française. Ainsi pour les mutilations, l'habit, mais également pour la religion puisque le Code intime aux propriétaires de faire baptiser les esclaves.
Derrière l'apparence d'un exotisme facile, chiens perroquets, fétiches, Voltaire fait donc référence à une situation juridique précise. Mais tout se dit ici à la manière de Voltaire, figures de symétrie, répétitions (« quand nous...)

2. Un commerce
Par ce personnage mutilé et pourtant très clair, Voltaire expose aussi les conditions de la économiques de la traite. Les acteurs sont bien sûr le maître au nom transparent « vendeur à la dent dure » , les parents qui ont vendu leur enfant qui a fait leur « fortune », et le consommateur final, celui qui mange le sucre en Europe. L'esclave est l'expert de son sort. Le dialogue fictif sert un exposé déguisé, mais il demeure vivant, alerte, fait intervenir au style direct la mère, tout en donnant des détails exacts, « côte de Guinée », « écus patagons ».

3.la complicité de la religion
Enfin Voltaire ne manque pas de mettre évidence les inconséquences d'une religion qui prône la fraternité de tous et autorise l 'esclavage. Est-ce une allusion aux conclusions de la Controverse de Valladolid qui accordant une âme, in extremis, aux Indiens d'Amérique, préconise de chercher des esclaves en Afrique ? Là encore l'esclave est un narrateur philosophe, un Candide bis, en plus ironique (« je ne suis pas généalogiste ») dans sa dernière remarque, « Vous m'avouerez... »

Ce personnage de l'esclave est un des jalons de la tradition philosophique, un des sages « naturels »que l'Européen rencontre, tels les rois cannibales de Montaigne, le Tupinamba de Jean de Léry ou le Tahitien de Diderot. Son discours, valable en lui-même comme dénonciation de l'esclavage est aussi une nouvelle bataille gagnée dans la lutte contre l'ennemi philosophique du conte, l'Optimisme.



  1. Une rencontre et deux dialogues
    1. au sein du récit, une rencontre en chemin.
    Le dialogue s'insère dans le parcours de Cacambo et de Candide. On peut comparer la première et la dernière phrase, similitude de construction gérondif passé simple « en approchant (…) ils rencontrèrent » « en pleurant(...)il entra ». Entre les deux, l'esclave et le dialogue.
    2.Un dialogue en cache un autre.
    Le premier, sur l'esclavage et le plus important bien sûr deux questions suffisent et un mot en syllepse, « traité » agir avec, mais aussi comme l'anglais « trade », commercer , est le
    prélude à un échange radical sur l'optimisme.
Cacambo devient le questionneur et Candide le philosophe expert. Une définition dénonciation de l'optimisme « la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal » fait écho à la définition radicale de l'esclavage « à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ».

Le gérondif « en pleurant » marque la progression pathétique du personnage. Candide vient d'abandonner Pangloss et ses dernières illusions. Pourtant il reste de nombreux chapitres et beaucoup de voyages et de récits avant la fin du conte. Cela a fait dire à quelques commentateurs que ce chapitre avait été rajouté, charge oubliée contre l'esclavage peut-être. Toujours est-il que Voltaire y est fidèle à son style, volontairement peu didactique et pourtant assez précis et documenté. Et ce chapitre contre l'esclavage reste aussi un chapitre contre l'Optimisme et la religion.

Plan d'étude Chapitre 3 Candide

Candide chap 3

Sit :
Candide chassé du paradis terrestre, enrôlé, déserteur, condamné à mort, gracié, le voilà soldat combattant, au seuil de la guerre.
Passage descriptif occasion de dénoncer l'absurdité et la cruauté de la guerre, ainsi que de réitérer ses sarcasmes contre les philosophes, par l'arme de l'ironie mais aussi par un certain pathétique, brutal et sec.

Un spectacle grandiose et sanglant.
  1. Description des deux armées
    symétrie équivalence hyperbole répétition
    genre épique, chanson de gestes, exploits de héros (étymologie demi-dieu)
    amplification dans la première phrase et musique entourant la guerre
  2. parodie d'épopée
    burlesque en mélangeant les registres « coquins » « infester »...
  3. caractère mécanique des trois assauts, augmentation du nombre des victimes, déshumanisation bilan approximatif et comptable, paroxysme ironique dans la trouvaille finale. L'oxymore allie les deux aspects du burlesque et finit de dénoncer le mensonge de la guerre héroïque pour ne laisser que l'image du carnage sanglant et animal.
Un spectacle pathétique
  1. les civils
    Le passage dans les villages change le ton. Omniprésence des corps des faibles des sans défense, vieillard,etc ;
  2. désordre désarticulé
    la guerre détruit l'ordre social elle instaure le chaos, ici elle désarticule les corps jamais vus dans leur intégrité. Blessures, membres, etc. cacophonie
Une perte de sens, l'absurdité
  1. guerre strictement équivalente dans les deux camps
  2. responsabilité des rois
  3. responsabilité de la religion.

A peine sorti du paradis terrestre dont il a été chassé Candide se retrouve aux prises avec la guerre. Le lecteur lui suit Voltaire dans une dénonciation rigoureuse et sans répit du chaos du monde et ici de la guerre spectacle absurde, insoutenable et dont les responsables sont à la fois les rois et les religieux. Le voyage de Candide commence et il n'y a déjà plus beaucoup de raison d'être optimiste.

mercredi 7 mai 2014

Bac Blanc- Question de corpus-corrigé

Bonjour à vous
Vous trouverez ici un corrigé de la question de corpus. J'y ajoute un lien sur la question de la méthodologie . Je maintiens que l'important est de comparer les textes, et que le plan synthétique n'est pas toujours pertinent, et n'est pas exigible.
 http://www.weblettres.net/spip/article.php3?id_article=431




Corrigé
Le châtiment suprême de la peine de mort, question hautement sensible encore aujourd'hui dans des pays comme la Chine ou les États-Unis, a vu ses détracteurs aiguiser leurs plumes et leurs arguments. Maximilien Robespierre, dans un discours de 1791, VH dans un roman, Le Dernier jour d'un condamné en 1832 et Albert Camus dans ses Réflexions sur la guillotine en 1957,ont cherché à convaincre de son abolition. Comment ?
Chez Robespierre, dirigeant de la Révolution française et futur chef d'orchestre de la Terreur, l'argumentation est directe. Il s'adresse aux législateurs, en s'appuyant sur un argument d'autorité : la peine de mort est contraire aux lois divines. Son discours s'articule sur deux preuves complémentaires : la peine de mort dérègle l'ordre social et elle est inefficace en matière d'ordre public car elle ne dissuade pas. Enfin, pour Robespierre, peine de mort et pays libre sont antinomiques. Deux cents ans plus tard Camus rejoint Robespierre sur la question du désordre social créé par la peine de mort. Mais, ne s'adressant pas à des Parlementaires, son argumentation directe également s'appuie sur un exemple, une narration exemplaire, le récit, tiré de sa vie personnelle, de l'expérience de son père, partisan de la peine de mort avant d'avoir assisté à une exécution, mais totalement bouleversé après. Le dégoût profond qui en résulte permet à Camus de tirer une conclusion générale sur la nécessité de l'abolition. Moins que des vérités éternelles c'est d'un homme exemplaire, archétypal, qu'il tire la force de son argumentation.
La démarche d'Hugo s'éloigne des précédentes en ce qu'elle va chercher dans la fiction une argumentation totalement indirecte et qui, à aucun moment, ne réclame l'abrogation de la peine capitale. En créant un personnage fictif qui s'exprime à la première personne Hugo va mettre en œuvre le pathétique, donner à la peine de mort une force propre, obsédante, inquiétante, écrasante, mort avant la mort, et de ce fait lui retirer tout pouvoir de justice contre un criminel. Au contraire, son personnage, dont on ignore totalement le crime, semble être un homme comme les autres. L'argumentation indirecte entraîne alors le lecteur dans la compassion et le conduit à conclure lui-même en faveur de l'abolition.
Si Robespierre argumente de manière directe, s'appuyant sur des vérités éternelles, Camus privilégie l'exemplum, et Hugo la fiction pathétique. Tous trois partagent le même but qui ne sera atteint qu'en 1981 en France, l'abolition de la peine capitale.

mardi 6 mai 2014

Corrigé devoir sur Micromégas

1.
Micromégas, écrit par Voltaire 1752, présente les aspects d’un conte philosophique. Il relève à la fois du conte, de la discussion philosophique, et permet la légèreté grivoise.

Il a bien sûr les apparences du conte traditionnel avec ses héros hors du commun. Ainsi Micromégas meure 32 km et son compagnon 1.8 km. Les deux personnages se promènent et font des découvertes. Le récit est bien « fabuleux » à la manière de l’exemple anglais des Voyages de Gulliver de J. Swift.
Cet aspect fabuleux permet en fait une réflexion philosophique. Les questions posées par le nain de Saturne et la réaction des hommes soulèvent le problème de la nature de l’homme et de sa place dans l’univers.
Enfin la légèreté propre au genre n’est pas absente. Voltaire affectionne les allusions grivoises comme ici celle à « un endroit nommé par Swift » mais tu par le narrateur à cause de son « grand respect pour les dames ».

Micromégas présente donc bien les caractéristiques du conte philosophique, tout en étant plus statique et plus dialogué que Candide ou Zadig.

  1. Dans le dialogue entre le nain de Saturne et les hommes Voltaire met en évidence deux aspects simultanés et contradictoires de la position de l’homme dans l’univers, aspects portés dès le titre par le nom du personnage éponyme, alliance de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, Micro = petit et méga= grand. Par sa taille et au regard de l’univers l’homme semble minuscule. En l’opposant ici à Micromégas et au nain de Saturne, Voltaire souligne cette position, comme Pascal (pensée 72)un siècle plutôt déclarait l’homme « un néant à l’égard de l’infini ».
Mais immédiatement après Voltaire rend ce néant capable de mesurer les deux géants, c’est-à-dire capable métaphoriquement de comprendre le monde qui l’entoure, d’en prendre la mesure et de s’y situer, il lui accorde un esprit supérieur. Ce faisant il déclare sa double admiration pour le créateur et pour l’homme. Nous avons affaire ici à un apologue humaniste.
Voltaire est plus optimiste que Pascal qui dans ses Pensées écrivait :« Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. »

VACANCES ET TRAVAIL

Bonjour à vous et merci de votre compréhension cet après-midi, j'ai apprécié.
Reste à donner les devoirs de vacances.
La première chose c'est de continuer votre travail de fiche et de révision sur les textes étudiés en classes.

Ensuite vous devrez lire quelques poèmes dans l'édition des de 1861 des Fleurs du Mal.  Cette édition est une source libre téléchargeable sur plusieurs sites.

Ce parcours de lecture du recueil de Baudelaire Les Fleurs du Mal est minimal et obligatoire :
Au lecteur, Bénédiction, Élévation, Correspondances, Le Mauvais Moine, La Beauté, L’Idéal, L’Harmonie du soir, Spleen 75, Spleen 78, L’Héautontimorouménos, À une Passante, Le Vin des Amants, Abel et Caïn, Le Voyage.

Pour nourrir votre lecture vous consulterez avec profit l'article Wikipédia sur Les Fleurs du Mal en vous intéressant à la structure de l'oeuvre et à son sens, à la démarche poétique de Baudelaire et à la réception.

Je publierai bientôt un corrigé de la question de corpus du bac blanc.
 Bon courage.

mercredi 26 mars 2014

Commentaire de la première page du célèbre conte philosophico...

Candide, Chapitre 1


Comme tout début, le chapitre 1 de Candide remplit un contrat d'ouverture. Cet incipit définit les lieux, donne des indications sur les personnages et esquisse les enjeux narratifs de l'histoire à venir. Ce chapitre présente cependant des caractéristiques qui en font également une page célèbre dans l'histoire de la littérature. Candide, ou l'Optimisme qui par son titre place personnage et thème philosophique en position d'équivalence révèle des enjeux non seulement narratifs mais idéologiques, et le style remarquable de cette première page offre un contrat de lecture aussi divertissant qu'engagé. Pour ces raisons étudier cette première page revient à se demander comment Voltaire, en une page à peine, parvient à établir un mille-feuilles satirique, philosophique et divertissant. Pour répondre à cette question nous étudierons d'abord dans quelle mesure le décor n'est qu'une forme de carton-pâte qui abrite des personnages-marionnettes, puis nous verrons comment la société aristocratique est ridiculisée, et enfin nous examinerons la remise en cause philosophique de la théorie de l'Optimisme.


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Le titre de l'ouvrage de Voltaire est suivi de ce que l'on peut appeler une fiction éditoriale, pour ne pas dire un mensonge : traduit de l'allemand de M. le Docteur Ralph. Et la première ligne nous indique que l'action se déroule en Westphalie. Certes Voltaire protège ses arrières, et ne souhaite pas du tout se voir attribuer l’œuvre. Le choix de l’Allemagne est aussi justifié car c'est la patrie de Leibniz, auteur de la Théodicée, et cible de Voltaire. Quant au nom du château de Thunder-Ten-Tronckh, il semble un peu long, aux consonances un peu ridicules. Surtout on est assez loin d'un château de contes de fée, « une porte et des fenêtres », « une basse-cour » rien là qui puisse éveiller le merveilleux. Tout se passe comme si l'univers du conte n'était convoqué que pour être parodié. L'expression même de « Il y avait ... » joue avec le plus classique « Il était une fois ... » pour souligner cette familiarité et cette distance. Le lecteur peut donc se sentir à la fois en terrain connu, l'Allemagne, la féodalité , le conte et en terrain de parodie, de détournement.
Détournés sont aussi les personnages traditionnels du conte. Candide héros éponyme est le premier décrit. Tout inspire l'innocence d'un petit Poucet ou de la gentille sœur des Fées de Perrault. Sa naissance cependant renvoie à l'univers romanesque des enfants illégitimes et donc aux romans picaresques du XVIIème et du XVIIIème siècle, dont l'un en allemand s'intitule Les Aventures de Simplicius Simplicissimus. Candide, dont le nom signifie bon, sincère et naïf dès le XVIème siècle, a lui même l'esprit le plus simple, c'est-à-dire simplicissimus, au superlatif. Dans le roman picaresque le héros, de basse naissance, voire orphelin, illégitime, est jeté sur les routes par la guerre, les injustices et doit œuvrer pour conquérir une place. Voltaire qui dispose au sens propre d'une culture encyclopédique joue sur les codes littéraires pour décrire son premier personnage.
Les suivants seront énumérés pour être raillés selon un procédé identique celui de la cause défaillante. La description se fait selon un ordre qui semble bien hiérarchique, le baron, sa femme, puis leurs enfants. Le baron est l'un es plus puissants seigneurs de Westphalie mais cette qualité est immédiatement démentie par ce qui en est la cause : la porte et les fenêtres dce son château. Le principe de la description est de démentir la grandeur des personnages par ce qui en fait la cause. C'est une des armes de l'ironie. Pour la baronne ce n'est plus la coordination « car » qui est à l'oeuvre mais l'expression « par là ». Elle inspire « une très grande considération » mais c'est par son poids de près de 150kg. Les causes ruinent les effets.
Quant aux deux enfants ils sont aussi ridicules. Le prénom de la fille signifie en germanique, qui ne craint rien. Mais ses sonorités françaises dénoncent immédiatement ce sens médiéval. Elle est sous le signe de la nourriture, « fraîche, grasse, appétissante ». Quant au fils qu'elle a précédé, il est en tous points semblable au père c'est-à-dire ridicule lui aussi.
A travers ces personnages c'est la société féodale que Voltaire met à mal et cette première page est l'occasion d'une satire contre les règles et les valeurs aristocratiques de l'Ancien Régime (enfin pas encore ancien).

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La société féodale est directement visée par la mention du château et les titres nobiliaires. Le nom du château qui évoque la foudre en allemand prend en français des sonorités ridicules, caricaturales. Chaque aspect de la grandeur féodale est tourné en dérision. La grandeur du château se réduit à une salle, la meute pour les chasses à courre est constituée des chiens de la « basse-cour », les services de la religion transforment le vicaire en « grand aumônier ». Pour chaque aspect, c'est finalement le langage qui en changeant le nom des choses les transforme, seule magie de ce conte qui commence la vanité des nobles à se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas. Irrésistiblement on pense à La Fontaine et à sa fable La Grenouille et le Boeuf.
C'est de nouveau avec Candide que la charge contre la féodalité se fait sentir. Son père est un « bon et honnête gentilhomme ». Mais il a été refusé parce qu'il ne présente pas assez d'ancêtres nobles. Là encore fonctionne mais à l'envers le système ironique voltairien de la cause défaillante, qui prouve le contraire de ce qu'elle est censée montrer. Ce n'est pas le père de Candide qui est en défaut ici mais bien le baron et sa grande vanité, et avec lui toute la mesquinerie d'un système qui ne valorise que la naissance. Beaumarchais fera dire à Figaro accusant le Comte Almaviva : « Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître ». Ici naître ne suffit pas à Candide mais c'est bien le même système de privilèges héréditaires qui est en cause.
Ainsi donc le sens du détournement et de la parodie observés en première partie est de permettre une satire sociale efficace car elle met les rieurs du côté de Voltaire. Pourtant cette satire sociale n'est pas isolée d'une satire philosophique annoncée déjà par le lieu.

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L'oracle de la maison, Pangloss, occupe une bonne partie de cet extrait. Sa désignation n'est pas qu'une antiphrase. Il est véritablement celui qui rend les prédictions et que l'on croit. Ce qui va par contrecoup de nouveau ridiculiser l'ensemble des habitants du château. Pangloss par son nom est celui qui est « tout langage , tout en la langue », celui qui ne fait que parler. Son enseignement construit un peu comme le nom du château, juxtapose des concepts philosophiques : metaphysique, théologie, puis scientifique, cosmologiques, et absurdes nigologie, qui n'est par construction que la science des nigauds. Le terme vient ruiner toute prétention sérieuse pour Pangloss. Dès lors son discours est suspect et le lecteur va y traquer les marques d'ironie aux quelles Voltaire vient de l'habituer.
Le terme « admirablement » est employé en antiphrase. La juxtaposition des deux premières propositions « il n'y a point d'effet sans cause » et l'expression le meilleur des mondes possibles renvoie directement au philosophe allemand Leibniz. Leibniz s'inscrit dans une tradition philosophique qui s'interroge sure la question du mal. Comment et pourquoi le mal existe-t-il dans un monde créé par Dieu ? Ce travail de justification du mal s'appelle « Théodicée » et Leibniz a écrit lui-même une théodicée dont la conclusion est notamment que le monde créé est le meilleur possible. C'est cette pensée que méthodiquement Voltaire tourne en ridicule en la caricaturant avec Pangloss. Le raisonnement de Pangloss a tout du sophisme. Sa première expression « il est démontré » fonctionne comme un argument d'autorité alors que justement rien n'est démontré. Puis s'actualise ici le système des causes défaillantes : « Les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons nous des lunettes ». Le lien de l'effet lunette à la cause nez est absurde. Et toute la chaîne logique est ridicule, passant du coq-à-l'âne, nez-lunettes , jambes-chausses, pierre-château, Monseigneur-très beau château, cochon-nourriture, à la conclusion générale « tout est au mieux ». Ce discours de Pangloss est un florilège de raisonnements absurdes dont l'accumulation provoque le rire. Voltaire détruit soigneusement toute velléité sérieuse chez ses adversaires. Il détruit non seulement leur pensée mais le fait même qu 'ils prétendent en avoir une. Par ailleurs il a lui-même dans sa satire sociale utilisé le système logique de la cause et de l'effet. Bref il ne s'attaque pas à la pensée philosophique de Leibniz seulement dans le discours de Pangloss, mais également dans toute cette première page.


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La première page de Candide est un morceau choisi de la littérature française, scolaire, mais pas seulement. Pourquoi ? Parce qu'elle est une arme en action. Voltaire y déploie des aspects multiples de la littérature, le conte, le roman picaresque, la satire, et un effort manifeste pour ruiner la philosophie de la théodicée. Il remplit bien sûr son contrat d'ouverture, informer le lecteur sur les conditions d'existence de cette fiction, les personnages, les lieux, et les enjeux. Au-delà on est en droit à cette étape du récit de s'interroger sur ce que Voltaire pourra construire, et de récit, et de philosophie après cette joyeuse exécution par le rire.


mardi 25 mars 2014

Texte de l'incipit du Diable au corps

Je vais encourir bien des reproches. Mais qu'y puis-je ? Est-ce ma faute si j'eus douze ans quelques mois avant la déclaration de la guerre ? Sans doute, les troubles qui me vinrent de cette période extraordinaire furent d'une sorte qu'on n'éprouve jamais à cet âge ; mais comme il n'existe rien d'assez fort pour nous vieillir malgré les apparences, c'est en enfant que je devais me conduire dans une aventure où déjà un homme eût éprouvé de l'embarras. Je ne suis pas le seul. Et mes camarades garderont de cette époque un souvenir qui n'est pas celui de leurs aînés. Que ceux déjà qui m'en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances.
 
Nous habitions à F..., au bord de la Marne.
 
 
Mes parents condamnaient plutôt la camaraderie mixte. La sensualité, qui naît avec nous et se manifeste encore aveugle, y gagna au lieu de s'y perdre.
 
 
Je n'ai jamais été un rêveur. Ce qui semble rêve aux autres, plus crédules, me paraissait à moi aussi réel que le fromage au chat, malgré la cloche de verre. Pourtant la cloche existe.
 
 
La cloche se cassant, le chat en profite, même si ce sont ses maîtres qui la cassent et s'y coupent les mains.


Raymond Radiguet, Le Diable au corps, 1923.

samedi 22 mars 2014

Acte II, Scène 4

Le Misanthrope, Acte II scène 4 v.567 à 602

Vidéo TNS 33mn20s – 38mn 45

La grande scène de l’acte II est appelée communément « scène des portraits ». Elle succède à une dispute où Alceste somme Célimène de se prononcer en sa faveur, ce qu’elle refuse de faire. Elle donne alors suite à l’arrivée de deux petits marquis un magnifique numéro d’esprit et de médisance, confirmant le jugement de Philinte qui l’annonçait lors de la scène 1 de l’Acte I.
LECTURE
Qu’est-ce que l’art d’être coquette ? Nous souhaiterions répondre à cette question en étudiant d’abord l’art du portrait, en examinant ensuite sa portée morale et enfin en nous interrogeant sur l’usage du monde selon Célimène.

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  1. Un art du portrait
L’art du portrait concentre trois qualités : la synthèse, la caricature, l’esprit.
    1. Synthèse
C’est un art synthétique, il doit en un mot décrire. Chaque personnage est ici perçu sous un nom propre suivi immédiatement de ce qui le caractérise. Cléonte le ridicule, Damon le raisonneur, Timante l’homme mystère, Gérald l’ennuyeux conteur. C’est un art du « caractère » v.585
Pour faire un bon caractère il ne faut pas hésiter à recourir à la caricature.

    1. Caricature
Elle est marquée par une figure majeure : l’hyperbole. Pour réussir il faut choisir un trait et y réduire l’individu, ce trait occupant tout l’espace et tout le temps.
Les exemples abondent.
De la tête aux pieds, Partout 572, toujours, 579

    1. Esprit
L’art est spirituel et le jeu de langage est habile et tient son secret en deux aspects essentiel : le récit court et enjoué, les jeux de mots.
Pas de prtrait de plus de dix vers et un art de la chute (formule conclusive)
« Et ce n’est que bruit que tout ce qu’on écoute »
« Et jusques au bonjour il dit tout à l’oreille »
L’art du jeu de mot repose sur les antithèses : « ne rien dire avec de grands discours »
« sans aucune affaire est toujours affairé » « De la moindre vétille il fait une merveille ». Les énumérations relèvent à la fois de l’hyperbole et du jeu sur les mots « duc prince princesse »,  « de chevaux, d’équipage et de chiens ».

Ainsi l’art du portrait est un art du discours. Quel est son but ? Il semble un art moral qui dessine en creux un art du « monde » c’est-à-dire de la Cour. Voir p.264-265 un extrait des Caractères 1688 de La Bruyère. Le terme est employé deux fois 571 et 590
« dans le monde », « il assomme le monde »

  1. Un art moral ?
    1. De petites fables satiriques
Chaque portrait ressemble à une petite fable. Au contraire des deux courts récits au passé composé d’Acaste et de Clitandre, parfaitement interchangeables, les portraits de Célimène sont au présent de vérité générale. Les « on » y sont fréquents.
Surtout chaque portrait offre en creux une morale.
Pour le barbouillé, il convient à a Cour d’être toujours mesuré, jamais extravagant.
Pour le raisonneur, il faut parler clairement.
Pour le mystérieux et l’ennuyeux, il faut être simple.
Comme si Célimène mettait en place un petit théâtre où le rire vient corriger les mœurs.

    1. Un petit théâtre
En effet la scène est un théâtre avec ses spectateurs. On y a disposé des sièges v.561 »des sièges pour tous », les acteurs offrent des relances « Tiamnte encore » et Géralde ». Éliante signale qu’il s’agit d’un jeu « Ce début ». Enfin il y a des spectateurs muets qu’il ne faut pas oublier, Alceste notamment.

Alors nous rions. Mais ce rire est inquiet car l’art moral de Célimène pour être comique n’est pas dirigé contre les vices du temps, mais davantage et plus simplement contre les absents, les autres, le « prochain ».

  1. L’esprit contre l’homme
    1. Le regard des autres
Célimène donne un spectacle. Elle a cinq spectateurs, deux sont des comparses, l’une commente au troisième, le dernier se tait. Chaque regard pèse sur le discours. Éliante définit ce qui se joue :
« contre le prochain
La conversation prend un assez bon train ».
Pour souligner cette importance du regard dans le film Molière le personnage amoureux de Célimène est dans le public, travesti en femme et caché.

    1. Le rire de connivence
Le rire provoqué par Célimène est un rire de connivence. Il repose sur la complicité. Dans le passage étudié les deux marquis et Célimène sont en parfait accord. Au début elle se règle sur leurs jugements. Clitandre dit ridicule elle ajoute barbouillé, Acaste dit raisonneur elle renchérit parleur étrange. Puis il suffit d’un nom pour qu’elle développe, l’accord est parfait. Dans la suite du texte il sera question d’un « ami ». Mais devant la déception de son public elle le brocardera également. Ce qui fait rire, c’est le sentiment de supériorit qu’ont les présents sur les absents. La médisance obtient l’assentiment au détriment, elle construit l’alliance sur la destruction- verbale- du prochain. Dès lors l’appartenance au groupe est problématique : se fait elle par sympathie ou par peur de l’antipathie ?
    1. La lutte pathétique contre la solitude
Damon était-il plus intelligent que Célimène, Timante plus insensible et Géralde plus riche ou titré ? Molière suggère que le rire de Cour est un rire jaloux. La mécanique de la caricature renforce le conformisme du courtisan mais surtout la solitude d’êtres qui n’ont pour être ensemble que la peur de se retrouver seul.
Alceste en deviendrait presque sympathique !

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Cette scène est célèbre à juste titre. Elle hisse Célimène, le personnage, le rôle et l’actrice à un sommet artistique, fixant le caractère de la coquette non seulement dans la beauté et l’élégance mais dans l’esprit de médisance. L’art du portrait dénonce cependant une grande solitude qui paraîtra au dénouement lorsqu’ayant bien raillé tout le monde pour s’attirer toutes les grâces, Célimène n’aura plus que la disgrâce.

Le Misanthrope Acte I sScène 2

Acte I scène 2
Vers 250 à 292

Des paroles aux actes…

Ce début de la scène 2 vient parfaire l’exposition de la scène 1 par la mise en pratique des principes d’Alceste. En effet nous assistons ici à l’écho dramatique (« drama » gr. l’action ) du récit d’Alceste, la saynète sur les embrassades de Philinte. C’est également au moment où Philinte évoque Célimène et son attitude de coquette que surgit le rival annoncé par la didascalie initiale. Molière conduit ainsi le théâtre du débat à l’action.
LECTURE
Quatre mouvements sont perceptibles dans cette quarantaine de vers, qui assimilent le passage comme l’ensemble de la scène à un « pas de deux » réglé : nous assistons tout d’abord à la justification de l’entrée du personnage, suivie rapidement d’un assaut d’amabilités et de caresses (v.251 à 276), provoquant la défense d’Alceste (v.277-284) qui entraîne un redoublement de l’assaut (285-292) et la fin du passage juste avant l’annonce du fameux sonnet. Cette composition marque en fait l’un des enjeux dramaturgiques du passage : comment Molière parvient-il à mettre en action le débat précédent pour parachever l’exposition ? Pour répondre à cette question il nous faudra d’abord montrer la dynamique de l’échange mondain, puis déceler le comique comme étant ici le résultat de l’affrontement de deux raideurs. Enfin nous nous attacherons à voir dans ce passage une mise en scène de la comédie sociale, qui fait dire à un critique moderne que cette scène est « une des plus riches de tout le théâtre moliéresque » (Jacques Guicharnaud Molière, une aventure théâtrale.)

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L’arrivée d’Oronte n’était pas annoncée et il surgit, tel un fâcheux, interrompant le débat entre Philinte et Alceste. Pourtant cette irruption va bel et bien relancer le débat mais en le déplaçant de la théorie et du récit, à la pratique et à la représentation.
Oronte est l’un de « ces grands faiseurs de protestations » que vient de condamner Alceste (v.44). Il est placé sous le signe de l’hyperbole dans sa déclaration d’amitié envers Alceste. Les termes d’« estime » et de « mérite » sont employés plusieurs fois accompagnés d’adjectifs ou de compléments qui en soulignent la dimension hyperbolique : « incroyable », « tout l’univers ». Les superlatifs abondent : « rien qui ne soit au-dessous », « préférable (plus aimable que) » « de plus considérable ». Le personnage se révèle ainsi sous le signe de la chaleur dénoncée par Alceste au début de la scène 1,(v.23) et qui se retrouve ici dans son discours : « ardent, je brûle, un ami chaud ». Oronte, en quelque sorte décrit deux fois dans la scène précédente, par la saynète d’Alceste puis dans la tirade sur les « grands faiseurs de protestations » est maintenant en scène.
Il se dégage également de son discours élogieux pour Alceste un autre éloge mais à son propre égard. Ainsi il se présente lui-même comme un « ami chaud et de ma qualité ». Il insiste sur le fait qu’il « n’est pas assurément pour être rejeté » ce qui, lu comme une litote, est un précieux compliment. Les références à la valeur de son propre jugement ne manquent pas : « de ma part », « je vous tiens ». Enfin le roi lui-même l’écoute. Ainsi Oronte apparaît avec le « mérite éclatant » qu’il prête à Alceste.
D’ailleurs c’est en conférant du mérite à Alceste qu’il en acquiert lui-même. Molière pose ainsi la question du compliment, sans même encore poser celle de la flatterie. En effet, décidant du mérite d’Alceste, Oronte se pose en juge, en arbitre et à ce titre comme déjà au-dessus du compliment lui-même. C’est ce que confirme sa référence au roi qui « en use le plus honnêtement du monde avecque /lui/ ». Oronte distingue Alceste, c’est donc qu’il est lui-même fort distingué.
Alceste joue ici le rôle de l’arroseur arrosé puisqu’il se retrouve cible des embrassements qu’il reprochait à Philinte. Il cherche d’abord à le nier. « À moi , monsieur ? ». En effet la colère n’est pas première chez Alceste. Il est d’abord dans son coin « rêveur » et on l’oblige à venir. Contraint il « sort de sa rêverie ». La mise en scène de la misanthropie n’est pas la mise en scène d’un monologue bougon. C’est la mise en scène de la réaction d’Alceste au monde. Il faut que sa bile « s’échauffe ». Les autres doivent venir le chercher. C’est exactement ce que fait Oronte. Et c’est de ce frottement, de ce heurt du misanthrope et du monde que naît le comique.

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Le comique de la scène repose d’abord sur cette situation d’arroseur arrosé, cette mise au pied du mur d’Alceste. Ce dernier adopte une position de résistance. À cette fin, il commence par feindre. La didascalie indique « semble ne pas entendre ». Pourtant sa deuxième réplique montre qu’il a parfaitement entendu. Alceste essaie de fuir par la feinte mais n’y parvient pas. Il lui faut alors faire face. Ce sera dans le refus. Ainsi le « mais », la négation « je n’attendais pas » révèlent son rejet.
Un élément essentiel du caractère d’Alceste est montré ici. Alceste n’est pas d’abord dans la colère. Il lui faut monter en puissance, il faut lui « échauffer la bile »(v.90). Le comique naît à la fois de cette raideur de colère et de son attente. Le spectateur prévoit l’explosion et l’attente lui procure un plaisir proche du rire lui-même.
Alceste est bien l’homme de la raideur, celui dont le « dessein est de rompre en visière à tout le genre humain » (v.96). Toutefois, si le spectateur attend cet affrontement, il n’a pas encore lieu. Alceste ici n’arrive pas à parler. Un effet mécanique de répétition vient nous faire rire. Alceste avec ses « monsieur » essaie de couper court mais Oronte ne le laisse pas intervenir. Le rire naît de cette raideur de la répétition. Il naît aussi de la reprise du ton sérieux. Alceste emploie un vocabulaire religieux « mystère », « profaner », « repentirions » qui rejoint les hyperboles d’Oronte.
En effet si Alceste est dans la résistance, Oronte lui est dans la persistance. Son assaut est répété. Ainsi il interrompt quatre fois la protestation d’Alceste. Et chaque fois il va plus loin. Enfin il en appelle au ciel pour l’écraser. De ce choc des deux raideurs naît le comique. Oronte va jusqu’à emprunter les jurons d’Alceste. Rejeté il persiste encore, et tourne les paroles d’Alceste pour en faire des serments d’amitié plus forts : « je vous en estime encore davantage ».
Alors que la scène 1 provoquait un rire de dissonance, ici c’est la symétrie des deux personnages qui fait rire. La comédie se donne par la parfaite adéquation de chaque raideur. Alceste ne sera pas le seul ridicule. Et c’est sans doute aussi de cette situation que la scène 2 tire une complexité qui lui est propre et qui nous incite à voir certes une scène de comédie, mais plus généralement une scène de la comédie sociale, la comédie dans laquelle nous sommes tous entraînés.

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La scène obéit d’abord aux règles les plus strictes de la liaison de scène. Il faut justifier la présence d’Oronte. Il s’en charge en expliquant lui-même pourquoi il est là. La comédie garde ainsi sa vraisemblance. Le théâtre se trouve sur la scène mais le spectateur y est aussi par Philinte interposé. En effet l’affrontement Oronte-Alceste se déroule sous les yeux de Philinte comme le début de quiproquo nous le rappelle : « C’est à vous, monsieur, que ce discours s’adresse ». Ainsi se trouvent sur scène trois caractères, trois pôles du jeu social.
Alceste refuse de jouer. Il résiste, est dans son coin, ne souhaite pas entrer dans la danse. Il refuse la comédie sociale. Ce n’est qu’un de ses paradoxes de « donner la comédie » en refusant le jeu, paradoxe que ne cesse de lui rappeler Philinte dans la scène 1. Il ne veut pas de « commerce », ni de « marché »(v.284). Il souhaite une identité parfaite entre le cœur et la parole, (v.70 le fond de notre cœur dans nos discours se montre, … que nos sentiments / ne se masquent jamais sous de vains compliments). Ce refus du masque est un refus du théâtre. On comprend mieux ici pourquoi Rousseau adepte d’Alceste, condamnait le théâtre.
Oronte a une attitude symétrique. Il accepte pleinement le jeu. Plus exactement pour Oronte, il n’y a pas de jeu. À proprement parler Oronte ne ment pas. Il faut le croire lorsqu’il le dit. En effet pour Oronte il n’y a pas de différence entre être et paraître puisque seul le paraître existe. C’est pourquoi il exhibe ainsi son cœur dans son discours. Il n’a strioctement rien à cacher. Il ne porte pas de masque (« persona »gr le masque) il est le masque.
En revanche Philinte incarne le paradoxe du comédien. Pour bien jouer il ne faut pas éprouver mais comprendre. Ainsi se tait-il dans ce début. Il mesure, interprète. Philinte est le joueur lucide et cynique : « il est bon de cacher ce qu’on a dans le cœur ». Alceste et Oronte lui donnent la comédie en même temps qu’ils la donnent à tous les Philinte de la salle.
La comédie peut se faire alors un peu grinçante. Force est de constater que chez Molière on ne se comprend pas, pire, on ne communique pas. Oronte ne convainc pas Alceste, qui ne convainc pas Oronte, qui ne convainquent pas Philinte qui ne les convaincra pas non plus. Chacun reste enfermé, aliéné dans un changement impossible. Il est dès lors compréhensible qu’on ait vu dans Le Misanthrope une pièce plus tragique que comique.


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Le début de la scène 2 prolonge l’exposition en introduisant un personnage et un caractère essentiel. Molière y théâtralise le débat montrant plus que jamais qu’au théâtre « dire c’est faire ». Le comique naît de l’affrontement des raideurs. La scène cependant complexifie la problématique de l’être et du paraître en représentant la comédie sociale et en montrant l’impasse dans laquelle se trouvent les hommes.