dimanche 25 mai 2014

Correspondances - Les Fleurs du Mal

Correspondances
IV
Section Spleen et Idéal


Quatrième poème de la section, ce sonnet occupe une place de choix dans la première section des Fleurs du Mal, au début d’une série qui concerne la fonction, le rôle du poète. Il succède à « Bénédiction » (la mère : « Ah que n’ai-je mis bas tout un nœud de vipères »), à « L’Albatros » (« Le poète est semblable au prince des nuées ») et « Élévation » (« Mon esprit tu te meus avec agilité »), trois poèmes qui semblent décrire un mouvement ascendant celui de la quête vers l’Idéal.
LECTURE
Ce sonnet apparaît comme un sonnet didactique (=qui expose une leçon) sur les correspondances. Que sont les correspondances et en quoi nous renseignent-elles sur le monde, telle est la question à laquelle répond le sonnet dans les deux premiers quatrains, puis les tercets illustrent la théorie à travers les parfums décrits dans une dichotomie qui oppose l’innocence et la pureté à la sensualité. Nous examinerons tout d’abord le sonnet comme une théorie des correspondances, puis nous analyserons la description des parfums et enfin nous voudrons voir dans « Correspondances » l’ébauche d’un art poétique.

  1. La théorie des correspondances
Le sonnet s’énonce au présent de vérité générale, des formules semblent des définitions « il est… ». Quelle est la conception de Baudelaire ?
    1. Il envisage tout d’abord l’univers comme un tout, une unité.
Plus tard en 1861, parlant de Hugo, il écrira : « (…) les choses s’étant toujours exprimées par une analogie réciproque, depuis le jour où Dieu a proféré le monde comme une complexe et indivisible unité ». Cette vision s’associe à une vision panthéiste (Dieu partout dans la nature) signalée par le « N » de Nature, la métaphore du temple et la présence de l’encens. L’Homme n’est qu’un élément fugitif, éphémère, il « passe » tandis que tout vit autour de lui. Les « vivants » piliers, les « paroles », « observent » « regards familiers » sont autant de termes qui personnifient le monde. Mais Baudelaire s’éloigne ici des Romantiques en ce qu’il ne décrit pas la nature, le paysage. Les éléments naturels sont surtout métaphoriques « forêt » ou étayent une comparaison « prairies ».
    1. L’unité du monde est un reflet de l’Idéal.
L’image des piliers suggère un correspondance verticale entre le haut (l’Idéal) et le bas le monde humain. Ce monde d’en haut livre un message et porte en bas comme des reflets ce qu’il est en haut. Ainsi l’univers de l’homme devient peuplé de symboles, qui sont comme les deuxième moitiés (voir étymologie de symbole) d’une vérité idéale. L’idée de verticalité se retrouve dans la « profonde » unité.
    1. Les correspondances sont aussi horizontales c’est-à-dire qu’elles concernent non plus le lien Idéal-monde mais le monde lui-même.
Le tout, l’unité est à retrouver en retrouvant les liens entre les différents objets de notre monde qui communiquent entre eux et sollicitent nos différents sens. Ce qui nous parvient nous parvient mélangé, « confus » comme des échos qui se « confondent ». Le terme de correspondances prend tout son sens dans le huitième vers, définitoire : « Les parfums les couleurs et les sons se répondent ». Les correspondances évoquent l’adéquation, le lien logique entre nos différents sens mais également les réponses qu’ils se donnent entre eux comme on entretient une « correspondance » en se répondant par lettres.

Ainsi le sonnet livre une sorte de théorie de l’univers où se trouvent définis la nature et l’homme.
Les parfums viennent alors livrer un exemple de ces correspondances à l’œuvre autour de nous.


  1. Son illustration par les parfums(à développer par les citations du texte)

Le parfum renvoie assez clairement aux Fleurs par métonymie, et il est aussi un aspect des fleurs.
    1. l’association des sensations.
Les deux tercets illustrent le vers 8. Ainsi toutes les comparaisons des vers 9-10 associent la perception olfactive à trois autres. « Chairs d’enfants » renvoie au toucher, etc. Mais chaque adjectif est lui-même polysémique, ainsi « frais », « doux » et « vert » renvoient à la jeunesse et à l’innocence, la pureté. La correspondance s’établit entre des sensations et un état.
    1. L’antithèse
Le vers suivant marque une rupture : « il en est d’autres »
La sphère sociale semble convoquée de nouveau par la polysémie « corrompus, riches et triomphants ». Le premier adjectif signifie en un sens déjà ancien au XIXème siècle, en décomposition. Plus communément il signifie mauvais au sens moral.
Le comme n’est plus ici comparatif mais introduit des exemples. Les parfums cités sont marqués par une double origine végétale pour l’encens et le benjoin, animale pour l’ambre et le musc. Cette dualité prépare celle de l’alliance dans le transport de « l’esprit et des sens ». On retrouve ici l’image déjà suggérée dans « L’Albatros » de l’homo duplex, fait de chair et d’âme, mais réconcilié dans l’infini du parfum, où spiritualité et sensualité entrent en correspondances.




  1. et par une écriture poétique correspondante.
Le poème de Baudelaire ne se contente pas d’illustrer les correspondances par le parfum. Il les met en œuvre dans son écriture même, comme si le déchiffrement du symbole revenait à l’artiste. Il faut aux correspondances une langue correspondante.
    1. Cette langue repose sur l’analogie
Le déchiffrement amène le poète à effectuer des rapprochements fondés sur la ressemblance. La figure de style privilégiée est la métaphore (nature temple, forêt de symboles, vivants piliers). La comparaison est aussi une figure de choix, six occurrences de « comme » et celui du dernier tercet, qui commencent comme correspondances.
    1. Sur l’harmonie
La langue se fait imitative. Ainsi le vers 5
« Comme de longs échos qui de loin se confondent » répète les consonnes KDLK KDLK dans un écho sonore qui double le signifié par le signifiant (le sens par le son).
    1. Et sur l’alliance des contraires
Enfin le poète joue sur l’alliance des contraires –titre du recueil et de la section- qui se retrouve dans les figures d’oxymore et d’antithèses. Oxymore vaste comme la nuit et comme la clarté, antithèse « il est- il en est d’autres », « l’esprit -les sens ».
Le dernier vers contient également une rime pour l’œil qui s’oppose en quelque sorte à a rime pour l’oreille mais rend compte ainsi encore d’une synesthésie qui mélange deux sens : l’auditif et le visuel.


« Correspondances » développe une théorie universelle de déchiffrement. Baudelaire y donne à la fois les clés de sa vision du monde, hiéroglyphique et dichotomique, déchiffrable pour le poète, mais également un art poétique de la correspondance en action, qui fait du langage non un reflet du monde mais un objet de ce monde.

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