Correspondances
IV
Section
Spleen et Idéal
Quatrième
poème de la section, ce sonnet occupe une place de choix dans la
première section des Fleurs du Mal, au début d’une série
qui concerne la fonction, le rôle du poète. Il succède à
« Bénédiction » (la mère : « Ah que n’ai-je
mis bas tout un nœud de vipères »), à « L’Albatros »
(« Le poète est semblable au prince des nuées ») et
« Élévation » (« Mon esprit tu te meus avec
agilité »), trois poèmes qui semblent décrire un mouvement
ascendant celui de la quête vers l’Idéal.
LECTURE
Ce
sonnet apparaît comme un sonnet didactique (=qui expose une leçon)
sur les correspondances. Que sont les correspondances et en quoi nous
renseignent-elles sur le monde, telle est la question à laquelle
répond le sonnet dans les deux premiers quatrains, puis les tercets
illustrent la théorie à travers les parfums décrits dans une
dichotomie qui oppose l’innocence et la pureté à la sensualité.
Nous examinerons tout d’abord le sonnet comme une théorie des
correspondances, puis nous analyserons la description des parfums et
enfin nous voudrons voir dans « Correspondances »
l’ébauche d’un art poétique.
- La théorie des correspondances
Le
sonnet s’énonce au présent de vérité générale, des formules
semblent des définitions « il est… ». Quelle est la
conception de Baudelaire ?
- Il envisage tout d’abord l’univers comme un tout, une unité.
Plus tard en 1861, parlant de Hugo, il écrira : « (…)
les choses s’étant toujours exprimées par une analogie
réciproque, depuis le jour où Dieu a proféré le monde comme une
complexe et indivisible unité ». Cette vision s’associe à
une vision panthéiste (Dieu partout dans la nature) signalée par le
« N » de Nature, la métaphore du temple et la présence
de l’encens. L’Homme n’est qu’un élément fugitif, éphémère,
il « passe » tandis que tout vit autour de lui. Les
« vivants » piliers, les « paroles »,
« observent » « regards familiers » sont
autant de termes qui personnifient le monde. Mais Baudelaire
s’éloigne ici des Romantiques en ce qu’il ne décrit pas la
nature, le paysage. Les éléments naturels sont surtout
métaphoriques « forêt » ou étayent une comparaison
« prairies ».
- L’unité du monde est un reflet de l’Idéal.
L’image des piliers suggère un correspondance verticale entre le
haut (l’Idéal) et le bas le monde humain. Ce monde d’en haut
livre un message et porte en bas comme des reflets ce qu’il est en
haut. Ainsi l’univers de l’homme devient peuplé de symboles, qui
sont comme les deuxième moitiés (voir étymologie de symbole) d’une
vérité idéale. L’idée de verticalité se retrouve dans la
« profonde » unité.
- Les correspondances sont aussi horizontales c’est-à-dire qu’elles concernent non plus le lien Idéal-monde mais le monde lui-même.
Le tout, l’unité est à retrouver en retrouvant les liens entre
les différents objets de notre monde qui communiquent entre eux et
sollicitent nos différents sens. Ce qui nous parvient nous parvient
mélangé, « confus » comme des échos qui se
« confondent ». Le terme de correspondances prend tout
son sens dans le huitième vers, définitoire : « Les
parfums les couleurs et les sons se répondent ». Les
correspondances évoquent l’adéquation, le lien logique entre nos
différents sens mais également les réponses qu’ils se donnent
entre eux comme on entretient une « correspondance » en
se répondant par lettres.
Ainsi
le sonnet livre une sorte de théorie de l’univers où se trouvent
définis la nature et l’homme.
Les
parfums viennent alors livrer un exemple de ces correspondances à
l’œuvre autour de nous.
- Son illustration par les parfums(à développer par les citations du texte)
Le
parfum renvoie assez clairement aux Fleurs par métonymie, et il est
aussi un aspect des fleurs.
- l’association des sensations.
Les
deux tercets illustrent le vers 8. Ainsi toutes les comparaisons des
vers 9-10 associent la perception olfactive à trois autres. « Chairs
d’enfants » renvoie au toucher, etc. Mais chaque adjectif est
lui-même polysémique, ainsi « frais », « doux »
et « vert » renvoient à la jeunesse et à l’innocence,
la pureté. La correspondance s’établit entre des sensations et un
état.
- L’antithèse
Le
vers suivant marque une rupture : « il en est d’autres »
La
sphère sociale semble convoquée de nouveau par la polysémie
« corrompus, riches et triomphants ». Le premier adjectif
signifie en un sens déjà ancien au XIXème siècle, en
décomposition. Plus communément il signifie mauvais au sens moral.
Le
comme n’est plus ici comparatif mais introduit des exemples. Les
parfums cités sont marqués par une double origine végétale pour
l’encens et le benjoin, animale pour l’ambre et le musc. Cette
dualité prépare celle de l’alliance dans le transport de
« l’esprit et des sens ». On retrouve ici l’image
déjà suggérée dans « L’Albatros » de l’homo
duplex, fait de chair et d’âme, mais réconcilié dans l’infini
du parfum, où spiritualité et sensualité entrent en
correspondances.
- et par une écriture poétique correspondante.
Le
poème de Baudelaire ne se contente pas d’illustrer les
correspondances par le parfum. Il les met en œuvre dans son écriture
même, comme si le déchiffrement du symbole revenait à l’artiste.
Il faut aux correspondances une langue correspondante.
- Cette langue repose sur l’analogie
Le
déchiffrement amène le poète à effectuer des rapprochements
fondés sur la ressemblance. La figure de style privilégiée est la
métaphore (nature temple, forêt de symboles, vivants piliers). La
comparaison est aussi une figure de choix, six occurrences de
« comme » et celui du dernier tercet, qui commencent
comme correspondances.
- Sur l’harmonie
La
langue se fait imitative. Ainsi le vers 5
« Comme
de longs échos qui de loin se confondent » répète les
consonnes KDLK KDLK dans un écho sonore qui double le signifié par
le signifiant (le sens par le son).
- Et sur l’alliance des contraires
Enfin
le poète joue sur l’alliance des contraires –titre du recueil et
de la section- qui se retrouve dans les figures d’oxymore et
d’antithèses. Oxymore vaste comme la nuit et comme la clarté,
antithèse « il est- il en est d’autres »,
« l’esprit -les sens ».
Le
dernier vers contient également une rime pour l’œil qui s’oppose
en quelque sorte à a rime pour l’oreille mais rend compte ainsi
encore d’une synesthésie qui mélange deux sens : l’auditif
et le visuel.
« Correspondances »
développe une théorie universelle de déchiffrement. Baudelaire y
donne à la fois les clés de sa vision du monde, hiéroglyphique et
dichotomique, déchiffrable pour le poète, mais également un art
poétique de la correspondance en action, qui fait du langage non un
reflet du monde mais un objet de ce monde.
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