mardi 12 novembre 2013

Germinal, la descente dans le puits

COMMENTAIRE CORRIGÉ.
Germinal, publié en 1885, est le roman le plus célèbre d’Émile Zola. D’une construction dramatique exemplaire, il s’inscrit dans la tradition naturaliste en mêlant le documentaire et la fiction. Le passage proposé à l’étude est situé au début du roman. Étienne, qui vient d’arriver au Voreux, a réussi à se faire embaucher car une herscheuse est morte dans l’équipe de Maheu. Il va donc accomplir sa première descente au fond.(1)[ À l’oral il faut lire le texte immédiatement après sa situation, à l’écrit on continue normalement]. Cette description de la descente, à travers les sensation d’Étienne, évoque d’abord le mouvement de la cage, puis s’attarde sur les fuites du cuvelage(2). Quels sont les enjeux d’une telle description dans le récit de Zola ?(3) Pour répondre à cette question, il conviendra tout d’abord la description dans sa dimension informative, puis d’en dégager les caractéristiques dramatiques, enfin de considérer sa dimension symbolique(4).

RAPPEL(extrait des conseils de méthodologie p.2)
L’introduction comprend quatre étapes. On cherche d’abord à présenter le texte en deux ou trois phrases qui l’inscrivent dans un contexte plus large, de l’époque à l’auteur, pour resserrer ensuite sur son contenu, sa place dans l’œuvre(1). On évoque ensuite sa composition, son mouvement(2) afin d’en déduire de la manière la plus élégante possible la problématique d’étude qui consiste souvent à se demander quels moyens l’auteur met en œuvre pour obtenir un effet(3). Enfin on annonce le plan(4) sous forme de questions directes ou indirectes qui sont autant d’étapes pour répondre à la problématique, qui est en quelque sorte une question complexe.

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Suivant les principes de Zola cette description a une visée informative. En effet, « l’œuvre d’art est un coin de la nature ». Ici la mine doit être vue sous un angle réaliste pour être conforme aux principes zoliens.
La description est menée à l’imparfait. Elle concerne les hommes, « Tous étaient à l’aise », le mouvement de la cage, « filait droit », l’environnement, « les parois du puits ».
Les termes techniques sont employés par le narrateur, « guides », « madriers », « lampe à feu libre », « berline », voire « porion » ou donnés comme indications par Maheu « quatre mètres de diamètre », « cuvelage ».
La descente, redoutée par Étienne quelques pages plus haut dans sa discussion avec Bonnemort, « et quand ça casse ? –Ah quand ça casse… », permet à Zola de donner des indications sur le transport des ouvriers, les dimensions du puits. Cette description a donc une visée informative, l’habileté de Zola consistant à partager les informations entre le narrateur et Maheu pour leur donner l’apparence du naturel.

Mais il s’agit également de créer une atmosphère dramatique.

RAPPEL(extrait des conseils de méthodologie p.2)
La présentation matérielle du devoir est primordiale. L’introduction débute par un alinéa. Elle est séparée de la première partie par un saut de trois lignes. Chaque partie contient des sous-parties (c’est-à-dire des paragraphes) marquées par un alinéa sans saut de lignes. Entre chaque partie une phrase permet une transition. Elle est située en fin de partie et annonce la suivante.
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L’atmosphère de la descente est oppressante. Le principal moyen utilisé par Zola pour créer cette sensation est la focalisation interne.
Zola commence par isoler Étienne du groupe. « Tous étaient à l’aise. Lui… » Étienne nouveau venu, est un exclu. Exclu du travail, du gîte, de la mine. Il a tout à apprendre.
Son isolement permet ensuite à Zola d’en faire le centre de perception. « Il ne pouvait distinguer », « à ses pieds », « Étienne se demandait ». Au contraire des autres, qui sont habitués et peuvent interpréter les mouvements et les bruits de la cage, Zola privilégie Étienne pour faire partager au lecteur l’angoisse de cette descente. Étienne se trouve dans l’incapacité d’interpréter son expérience de la descente. Cela « lui donnait la peur d’une catastrophe ». Les sensations changent brusquement « immobilités » puis « brusques trépidations », ou demeurent imprécises « sorte de dansement ». Progressivement Zola associe le lecteur, le narrateur et Étienne par un « on » indéterminé : « on traversa », « on retombait au néant ». La focalisation interne est le moyen privilégié de cette vérité naturaliste.
Simultanément la description a une dimension narrative en ce qu’elle projette dans son présent le futur du récit. Ici la gradation qui concerne la fuite du cuvelage est une prophétie de la catastrophe finale. Le « bruit d’averse » passe des « grosses gouttes » à l’  « ondée » puis au « déluge ». Cette dernière image possède une résonance biblique mais rejoint aussi les imprécations de Souvarine qui appelle de ses vœux une humanité renouvelée par la destruction totale de l’ancienne. Or c’est bien lui qui sera l’instigateur de l’horrible catastrophe, redoutée par Étienne dès sa première descente, et signalée par Maheu.
Informative, mais aussi annonciatrice, la description a aussi une dimension symbolique qu’il convient d’aborder maintenant.

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La mine quelques pages plus haut a déjà été présentée comme un monstre engloutissant les hommes. Le « Voreux » les dévore. Mais ici c’est d’une descente aux Enfers qu’il s’agit. Étienne est un nouveau Thésée, pas seulement dans le labyrinthe, aussi parti chercher son ami Hercule il affronte le dernier voyage. L’humidité noire, le tassement des corps, autant de référence aux hommes qui attendent Charron pour traverser le Styx. Le porion possède la seule source de lumière devenue « phare ».
C’est également un hommage à la célèbre allégorie de la caverne, imaginée par Platon dans le Livre VII de la République. Ici se dessine  « la vision d’une caverne où des hommes s’agitaient ». Ce monde de la mine prend des dimensions irréelles et vaines. Les hommes « s’agitent », la réalité n’est plus qu’une « vision ». Zola se recrée ici lui-même en Socrate, car dans ce livre VII Platon met en scène un dialogue entre Socrate et Glaucon. La mine devient l’emblème de la condition de l’homme asservi, enchaîné et victime d’une illusion qu’on lui présente comme la vérité.
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Cette courte description n’est pas un morceau de bravoure, ni un passage capital du texte, ni une grande page du naturalisme. Cependant elle rassemble tous les degrés possibles de la lecture du texte zolien. Elle fournit des renseignements, contribue à la progression dramatique et comporte une dimension symbolique. Ainsi même dans ses passages mineurs-hihihi- Germinal foisonne.