dimanche 29 septembre 2013

Vous avez un nouveau message

Voilà en ligne les travaux promis. Les deux premiers commentaires et la correction du devoir sur La Fille aux yeux d'or.
 Germinal vous attend alors ne passez pas trop de temps sur votre écran, et descendez, en vrais braves que vous êtes, au fond de la mine.

Correction de L'interrogation sur l'incipit de La Fille aux yeux d'or


  1. En vous appuyant sur le lexique, dites quelle image le narrateur donne de Paris.
  2. Nommez et décrivez précisément la figure de style employée pour caractériser Paris.
  3. Analysez les effets de la dernière phrase.
  4. Étudiez la situation du lecteur dans le passage.

Correction de l’interrogation
 1.      Le lexique ayant trait à Paris renvoie au physique des Parisiens. Il est à la fois riche et dévalorisant. L’image des Parisiens est celle de gens malades, ils sont un peuple « horrible à voir » car « hâve, jaune, tanné », leurs visages sont « contournés, tordus » , ils ont une « physionomie cadavéreuse » et même la jeunesse est « blafarde ». Paris se transforme en hospice, en hôpital. Le peuple parisien est non seulement physiquement malade, mais il se meurt , il est d’ailleurs « exhumé », et cette maladie devient celle de son âme : Balzac mélange les termes physiques et psychologiques, les visages deviennent « masques » porteurs de vices et surtout d’une « teinte presque infernale ». Paris devient un « enfer ».

2.      La figure de style employée ici est une métaphore dans laquelle Paris est assimilé à un « vaste champ ». Plusieurs termes viennent filer la métaphore de ce champ en proie aux intempéries tels « remué », « tempête » ou « tourbillonne ».  Les hommes se transforment en épis de blé par la « moisson d’hommes que la mort fauche ». La mort est elle-même ici une allégorie elle devient la Faucheuse. Le « champ » Paris semble alors un champ de bataille impitoyable, c’est bien l’impression que veut donner Balzac et la métaphore se transforme en un spectacle macabre et incessant par la renaissance perpétuelle soulignée par les adverbes « incessamment » employé dans sons sens vieilli et « toujours ».

3.      La dernière phrase est bâtie sur une accumulation, une répétition de structures juxtaposées dont le nombre crée l’effet décrit par une sorte d’harmonie imitative. Onze verbes se trouvent juxtaposés, les cinq premiers sont construits sur le même modèle tout + vb, les autres seulement juxtaposés avec un sujet en facteur. Il s’agit davantage d’une accumulation que  d’une gradation car il n’y a pas entre « tout fume » et « se consume » de progression, le champ lexical du feu est ici développé pour produire plutôt un effet de circularité sans fin. Cette circularité est renforcée par les effets de rimes /ym/ et d’allitérations.  On peut seulement remarquer que le dernier verbe « se consume » suggère la fin du cycle.

4.      Le lecteur est assez peu convoqué par le narrateur dans ce passage. Toutefois certains effets semblent s’adresser à lui. Tout d’abord le texte est rédigé au présent, un présent de vérité générale mais qui semble inclure le narrateur et le lecteur dans la production du texte, les réunir dans l’énonciation. Ensuite les questions posées par le narrateur s’adressent au lecteur. Cependant il ne s’agit que de questions oratoires. Ainsi la première, « Paris n’est-il pas… » n’a même pas de points d’interrogation. Les deux autres, « Que cherchent-ils ? De l’or, ou du plaisir ? » sont elles aussi oratoires, uniquement destinés à affirmer ici qu’ils cherchent les deux à la fois, comme le souligne d’ailleurs le titre, La Fille aux Yeux d’or, qui rassemble en un seul personnage et le plaisir et l’or. Enfin l’impératif « tenez ce mot pour vrai » est la seule adresse directe au lecteur. 
On peut également considérer que le lecteur est présent comme spectateur, le « spectacle » de Paris ou comme « étranger », il trouve alors sa place indirectement dans le texte, sans adresse directe, témoin de la virtuosité du peintre dans le tableau qu’il dresse de Paris.

Commentaire de l'incipit du Père Goriot


Le Père Goriot
Commentaire 
 Bien sûr titres et intertitres sont prohibés en devoir, ils sont là pour vous aider.


À défaut d’être le plus lu, Le Père Goriot passe pour le roman le plus célèbre de Balzac. On le veut souvent exemplaire d’une esthétique réaliste dont Balzac serait l’un des représentants majeurs. Le texte que nous nous proposons de commenter ici est l’incipit du roman, son ouverture, qui décrit tout à la fois son lieu central, la pension Vauquer, Paris et cherche à se définir comme œuvre littéraire. Balzac parvient-il ici, et comment, à assumer simultanément le contrat d’ouverture et les fonctions de moraliste auxquelles il a souvent prétendu ? C’est la question et l’enjeu de la lecture que nous souhaiterions faire maintenant en abordant tout d’abord cette ouverture comme un début de roman ancré dans un réel prégnant. Mais nous voudrions ensuite nous interroger sur la place centrale occupée par un Paris transfiguré, véritable personnage, à la fois métaphorique et métaphorisé. Dès lors il conviendra de réévaluer le narrateur balzacien, metteur en scène d’un auteur et d’un lecteur engagés dans un débat moral.

             1.    Un début réaliste
a.       Abondance de toponymes et jeux d’attestation.
à Paris ; rue Neuve-Sainte-Geneviève, entre le quartier latin et le faubourg Saint-Marceau ; Paris  ; entre les buttes Montmartre et les hauteurs de Montrouge.
Accumulant les détails de situation, une illusion réaliste prend peu à peu forme, relayée par un jeu d’attestation. La pension fictive est non seulement « réalisée » par les toponymes parisiens, mais elle est elle-même nommée par les Parisiens :  « connue sous le nom de la Maison Vauquer ».
Ce qu’on en dit, son nom, comme ce qu’on n’en dit pas, « les médisances » participent à la construction du lieu.

b.      Une époque surdéterminée : l’histoire du présent.
Ce sont les mêmes moyens qui président à la désignation de l’époque. Balzac donne au lecteur un élément de datation directe « En 1819 » associé à son œuvre « époque à laquelle ce drame commence ».
Cette date sert alors de point de repère pour deux autres éléments de datation indirecte, depuis quarante ans depuis trente ans.
Il n’est pas indifférent que 1789-« depuis trente ans »- devienne une des dates, la Révolution apparaissant comme un repère chronologique, séparant la naissance de la pension et celle du drame. Le renversement de la Monarchie semble d’ailleurs aussi signalé par la perte de la particule la ci-devant « de Conflans » étant par mariage devenue citoyenne « Vauquer ». Ainsi l’histoire semble bien convoquée, attestant de son aura la réalité de la fiction, cependant que le présent de narration, bien proche de celui d’énonciation car l’œuvre ne date que de 1835, tend à faire de Balzac l’historien du présent.

c.       Des personnages nombreux et une intrigue esquissée.
Le foisonnement géographique et historique est relayé par celui des personnages. Le titre bien sûr qui évoque à la fois un nom et une fonction, et fera bientôt comprendre au lecteur qu’il a entre les mains le roman de la paternité. Aux côtés de Madame Vauquer apparaissent tous les humains « des hommes et des femmes, des jeunes gens et des vieillards ». Mais il s’en isole deux : « un jeune homme » et « une pauvre jeune fille » . Eugène de Rastignac et Victorine Taillefer sont ici esquissés. En fait tous les ingrédients de l’intrigue sont d’ores et déjà convoqués. Des jeunes gens pauvres, de la souffrance, du mystère.

Balzac remplit magistralement son contrat d’auteur en nous donnant en ce début non seulement les informations nécessaires à l’intelligence de l’histoire, mais en captant l’attention du lecteur par des détails réalistes et l’esquisse d’une histoire dont il révélera les secrets. Cependant le lecteur interpelé est bientôt attiré par un tout autre personnage. Paris prend ici une importance croissante qu’il convient maintenant d’analyser. 

                2.    Dans un Paris transfiguré
a.       Toponymes et géographie : un lieu « entre »
L’abondance des toponymes provoque presque le contraire de ce qu’elle semblait créer : détaillant le réel l’auteur le déréalise presque. De plus le lieu du roman pour déterminé qu’il soit est un lieu « entre » comme s’il ne pouvait se définir en soi. Il en va de même pour Paris, situé « entre » deux hauteurs selon un axe Nord-Sud. Cela crée un effet d’isolement et de singularisation renforcé par les nombreuses reprises adverbiales et pronominales de la ville : « y produire », « s’y rencontre », « çà et là ». Surtout Paris est progressivement métaphorisé.
b.      Paris métaphorisé Paris métaphorique
La ville est tout d’abord évoquée par son nom deux fois. Puis elle est désignée « entre ». Elle est alors deux fois évoquée par une périphrase « illustre vallée » relayée par un oxymore illustre et plâtras près de tomber et une antithèse souffrances réelles et joies fausses. Ces périphrases abritent à leur tour une métonymie établie sur une symétrie concret abstrait, décor personnage. On passe ainsi des éléments concrets-« plâtras », « ruisseaux noirs de boue » de la première aux éléments abstraits et métonymique de la deuxième « souffrances » et « joies », que le pluriel tend néanmoins à concrétiser. 
Les métonymies sont nombreuses, les vices les vertus les égoïsmes et les intérêts renvoient donc à divers types de Parisiens. Bien loin de n’être qu’un élément de réel la ville se métaphorise peu à peu, est métaphorisée par « le char de la civilisation semblable à celui  de Jaggernat », comme lieu implacable de sacrifices.
Plus encore elle devient elle-même métaphore du progrès, elle est le char de la civilisation.

c.       Paris biblique, Balzac et Dieu
Ne faut-il pas dès lors voir en Paris un personnage, si ce n’est LE personnage du roman, élevé à une dimension biblique. La vallée de ruisseaux et de souffrances semble être la vallées des larmes biblique, des Psaumes :
Psaume 84: 6-8
« Heureux ceux qui placent en toi leur appui! Ils trouvent dans leur cœur des chemins tout tracés. Lorsqu’ils traversent la vallée de Baca, ils la transforment en un lieu plein de sources, et la pluie la couvre aussi de bénédictions. Leur force augmente pendant la marche, et ils se présentent devant Dieu à Sion. »

Il se peut alors que le narrateur s’en trouve lui aussi transfiguré, élevant Paris à la dimension biblique, il se place en quelque sorte du point de vue de Dieu.
Sans vouloir exagérer ou user de ce qui pourrait ressembler seulement à un jeu de mots, il demeure que le narrateur opère dans ce début de roman une série de mises en scènes de l’auteur, à travers lesquelles il tente d’opérer sa  captatio benevolentiae, d’attirer la bienveillance du lecteur.

                         3.     Par un narrateur moraliste.
a.       le narrateur philologue
C’est d’abord un philologue que nous rencontrons ici, un narrateur soucieux du sens des mots et de son éclairage par les textes. Non seulement soucieux du mot « drame » et de ses emplois abusifs, mais maniant langues anciennes-latin et même sanskrit- comme moderne avec l’anglais. Le narrateur met en scène son langage et l’auteur qui utilise ce langage devient un érudit, savant philologue d’aujourd’hui comme d’hier.

b.      le narrateur et son œuvre
Autant que la langue qu’elle sert c’est l’œuvre que Balzac entreprend qu’il ne cesse de définir. Le mot « drame » sert donc à désigner son œuvre. Mais il ne faut le comprendre dans le « sens vrai du mot » qui est peut-être son sens étymologique, il ne faut donc pas y voir une pièce de théâtre à laquelle renverrait l’adjectif. Pourtant Balzac la redéfinit immédiatement comme une «scène pleine d’observations et de couleurs locales ». Il insiste alors sur l’exactitude de sa peinture, et renforce sa définition par un « ni …,ni…» qui exclut la fiction et le roman, et propose comme reprise de son œuvre les « secrètes infortunes du Père Goriot » se chargeant ainsi de révéler ce qui est caché.  Il crée donc un nouveau genre, empruntant un ancien mot et lui donnant un nouveau sens : un drame où tout est vrai. En définitive, Balzac invente le roman réaliste et dans cette invention insère son projet comme dans une préface.
 c.       le narrateur et son lecteur
Mais la préface est intégrée à l’ouverture car l’auteur y propose un pacte de lecture original. Le narrateur a mis en scène l’auteur et met également en scène le lecteur. Il s’agit d’abord de jeu sur le passif , les tournures impersonnelles et l’emploi de l’indéfini « on ».  Puis le lecteur est nommé et le « vous » qui l’interpelle est employé six fois, décliné en possessif, implicite dans l’impératif. Le narrateur fait de ce lecteur un personnage dans une histoire à venir signalée par le futur simple, comme si l’auteur non seulement était capable de dire le vrai du monde comme le vrai de la lecture et des lecteurs. Cette saynète n’a qu’un but, permettre à chacun de reconnaître non seulement le monde réel et extérieur mais son monde intérieur. Accusant son lecteur d’insensibilité, se défendant lui-même il produit un plaidoyer pour la sensibilité, la vérité du cœur : l’ultime mot de l’auteur est moral.

CONCLUSION

            L’ouverture du Père Goriot est exemplaire à plus d’un titre du projet de Balzac.  Tout d’abord il définit en le réalisant un projet réaliste, puis il invente un nouveau personnage, Paris, qui prendra une place essentielle dans son œuvre. Surtout il assume un rôle d’auteur dépositaire d’un morale et rejoint alors deux grands maîtres qu’il édita comme imprimeur : La Fontaine et Molière. Et c’est sans doute par là que Balzac nous touche encore, moins par son « réalisme» surchargé que par son sens de la vérité du cœur.

Commentaire de l'incipit de La Princesse de Clèves


Pour vous aider à vous repérer les parties, les titres  les intertitres, tout ce que vous ne ferez pas dans un devoir bien sûr.
 
 INTRODUCTION
             Paru en 1678, La Princesse de Clèves , roman de Mme de Lafayette s’ouvre sur la cour du Roi Henri II.
            Ce portrait inaugural des plus hauts personnages du royaume se laisse lire de prime abord comme un éloge des fastes de la Cour. Sous cet éloge apparent se dessine cependant un jugement  critique. L’enjeu de la lecture est alors de comprendre comment l’écriture de Mme de Lafayette, soumise aux contraintes de l’ouverture romanesque, réussit à livrer un blâme sous les dehors de l’éloge.
            Afin de mener à bien l’étude cette écriture il conviendra tout d’abord de montrer que cette brillante galerie de portraits semble annonciatrice d’un roman historique, héroïco-tragique. Mais la présence mesurée de la narratrice nous conduira ensuite à nous interroger sur la dimension ironique de ses interventions. Il sera alors temps de mettre en évidence une esthétique originale et exigeante, livrant les clés d’un roman du secret.


1.    Une brillante galerie de portraits annonciatrice d’un roman à la fois héroïque et tragique.
    1. Un ancrage historique immédiat et prégnant.
-Chronotope indirect.
-Noms des personnages historiques
L’Histoire est convoquée à chaque ligne, par les puissants de la Cour, leur noms et leurs titres. Il s’agit de personnages réels  et le lecteur attend alors les personnages proprement romanesques.

    1. Des portraits brillants.
-Les hyperboles : « magnificence »,  « jamais », « tant d’éclat », « pas moins violente », « pas moins éclatants », « tous les jours », « partout ».
L’hyperbole structure le texte jusqu’à apparaître comme la seule figure, omniprésente.
-Accumulation des titres, des reprises de titres et des particules de noblesse.

    1. Une annonce en creux.
Au sein de ce décor on cherche en vain la Princesse de Clèves. Son absence semble destinée à provoquer l’attente du lecteur invité alors à lire en creux des annonces dans ce début ob ovo digne de la tradition du roman épique et héroïque où les auteurs tracent d’abord la généalogie des héros avant de les présenter en action. On remarque alors que se dessine dans le portrait les prémices d’une tragédie : dans cet univers de Cour, la mort rappelée du Dauphin annonce une catastrophe. La passion du Roi et la  « dissimulation » de la Reine laissent présager aussi des péripéties héroïco-tragiques, les témoignages éclatants de la passion pour la maîtresse s’opposant aux témoignages dissimulés de la jalousie.

Plongé dans l’histoire et l’éclat de la Cour le lecteur est comme invité à une lecture en creux de la suite du roman ; son horizon d’attente semble celui d’un roman héroïque et tragique. Cependant l’ouverture est ambiguë, retardant l’entrée du personnage éponyme et instaurant une contradiction entre la première phrase et la dernière du texte, opposant la magnificence et la galanterie à la politique. Cette ambiguïté n’est-elle pas d’ailleurs commune aux trois portraits ? Dès lors l’apparent éloge des trois personnages ne tourne-t-il pas au blâme de leur conduite.

 
2.    Une narratrice ironique ?

    1. Le portrait d’un roi peu soucieux de régner.
Le portrait du roi est l’occasion d’une très brève description, trois adjectifs qui le placent exclusivement sous le signe du corps « bien fait » et du sentiment « galant » et « amoureux ». Le deuxième paragraphe semble insister sur le corps et sa prépondérance sur l’esprit puisque la phrase commence par une circonstancielle de cause « comme il réussissait admirablement… » qui dicte les occupations du Roi. Le corps apparaît comme la source du comportement royal. Enfin, les allusions à la mort du dauphin qui aurait « dignement » remplacé François premier dévalorisent indirectement Henri II.

    1. Diane de Poitiers : une grand-mère indigne ?
La maîtresse du Roi n’est guère favorisée non plus. En effet le personnage n’est pas décrit. Elle n’est présentée que dans sa position de maîtresse du Roi, depuis vingt ans, ce qui peut s’entendre comme une allusion à leur différence d’âge. Cette question de l’âge suscite l’attention du lecteur qui apprend au deuxième paragraphe qu’elle est grand-mère, et une grand-mère âgée puisque sa petite fille est en âge de se marier.  Enfin le verbe « apparaître » la place aussi sous le signe des apparences et non de la vérité. Au final, le ton de la narratrice à son égard semble plus ironique que bienveillant. Cette ironie à l’égard d’une maîtresse vieille mais habillée comme sa petite-fille renforce par contrecoup la dévalorisation du Roi.

    1. La Reine : une douceur peu amène.
La Reine n’est pas nommée bien qu’il soit clair pour le lecteur contemporain de Mme de Lafayette qu’il s’agit de Catherine de Médicis. Sa description physique est brève- comme ce sera le cas pour tous les personnages du roman. Pourtant le trait de beauté est immédiatement contrebalancée par l’âge et l’antithèse semble un euphémisme. Au contraire du Roi  c’est sous le signe du politique que la Reine apparaît, son « humeur ambitieuse » occupe un paragraphe non sa beauté. Le dernier paragraphe est souvent modalisé, « il semblait », « il était difficile de juger » car la narratrice prend de la distance par rapport au personnage historique. C’est pour mieux faire ressortir les qualités qu’elle lui prête : « une si profonde dissimulation ».  La phrase non seulement porte l’intensif mais est exempte de modalisation ce qui par contrecoup annule « semblait » . C’est bien un jugement de Catherine de Médicis et il n’est pas élogieux.


Mais alors s’il s’agit bien d’un blâme dissimulé ici, que reste-t-il de l’ouverture promise, de la grandeur et de l’éclat ? Ce qui se donne à lire est en fait le fruit d’une esthétique, la préciosité, qui joue sur le lexique, la construction et les figures, la culture et la complicité du lecteur enfin, comme le bon ton de la conversation le veut dans les salons.
  

3.     Une esthétique originale qui sollicite le lecteur.
    1. Le choix du lexique.
Le lexique de Mme de Lafayette échappe aux excès précieux que Molière a tournés en dérision. Mais elle fait un usage subtil de nombreux mots. Ainsi le verbe paraître est le premier verbe du roman, plaçant celui-ci sous le signe des apparences et de la superficialité, idée renforcée par l’emploi du verbe deux fois pour Diane de Poitiers Dualité entre l’extérieur, ce qu’on montre et que les autres peuvent admirer, cf « admirablement », et ce que l’on cache mais que la narratrice va dévoiler car elle sait qui « dissimule ». Notons encore le doublement de « témoignages », décliné en nom pour le roi et verbe pour la reine, qui permet une symétrie d’attitude autour de la passion d’Henri II pour sa maîtresse. L’oxymore « souffrît sans peine » joue également le rôle de démenti de l’apparent stoïcisme de la reine, par l’utilisation du verbe souffrir dans une double acception, on peut parler de syllepse.

    1. Un usage de la subordonnée à des fins ironiques
Le style de Mme de Lafayette se cache aussi dans sa virtuosité pour enchâsser les subordonnées et y dissimuler un jugement. Ainsi dans le deuxième paragraphe la deuxième phrase nous révèle que Diane de Poitiers est une grand-mère âgée, puisqu’elle a une petite-fille à marier dans la troisième subordonnée, ce qui crée un effet de chute presque comique. Dans le troisième paragraphe la troisième phrase contient deux subordonnées circonstancielles de temps et la seconde contient elle-même deux relatives. C’est dans la dernière relative que se trouve indirectement par contrecoup une violente critique d’Henri II. En apparence les informations concernent son frère. Mais le frère devant remplacer « dignement » son père, Henri II devient moins digne. Il faut aussi  s’interroger sur le possessif « son » surprenant car le sujet de la principale est Henri II et grammaticalement « leur » serait plus approprié. Ne faut-il pas dès lors envisager que la narratrice nie en quelque sorte non seulement la dignité mais la légitimité d’Henri II ?

    1. Des informations à double sens
C’est bien le propre de l’esthétique précieuse que de cacher du sens, de laisser la possibilité d’une double entente, sous le signe de la litote ou de l’euphémisme. Il faut alors convoquer l’histoire pour entendre mieux Mme de Lafayette. Ainsi les vingt ans de la passion ne cachent-ils pas la différence d’âge du roi et de Diane de Poitiers ? L’habileté du roi n’est-elle pas mise à mal par sa mort en tournoi justement par maladresse ? L’histoire qui nous enseigne que Diane fut aussi la maîtresse du père, donne un sens particulier à l’expression « prendre la place de son père » employée pour le Dauphin quand il s’agit de régner, mais ce fut bel et bien le cas de Henri II. Enfin le lecteur de l’époque n’ignore pas que la douceur de la Reine fut responsable du massacre de la Saint-Barthélémy en 1572 , et que son manque de jalousie la conduisit à priver Diane de Poitiers du château de Chenonceaux et à la chasser de la Cour après la mort du Roi

 CONCLUSION
  Ce début de roman semble être le lieu de portraits brillants annonciateurs d’un roman historique, héroïco-    tragique. Cependant la narratrice s’y révèle ironique voire acerbe. L’esthétique précieuse semble alors exiger un lecteur  attentif et perspicace soucieux de participer à l’élaboration d’un sens qui se dissimule sous les apparences de la limpidité.
            On peut d’ailleurs voir là la véritable annonce de cette ouverture : La Princesse de Clèves est un roman du secret sans cesse dévoilé, sans cesse dissimulé, un roman exigeant.






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