Pour vous aider à vous repérer les parties, les titres les intertitres, tout ce que vous ne ferez pas dans un devoir bien sûr.
INTRODUCTION
Paru
en 1678, La Princesse de Clèves , roman de Mme de Lafayette s’ouvre sur
la cour du Roi Henri II.
Ce
portrait inaugural des plus hauts personnages du royaume se laisse lire de
prime abord comme un éloge des fastes de la Cour. Sous cet éloge apparent se
dessine cependant un jugement critique.
L’enjeu de la lecture est alors de comprendre comment l’écriture de Mme de
Lafayette, soumise aux contraintes de l’ouverture romanesque, réussit à livrer
un blâme sous les dehors de l’éloge.
Afin
de mener à bien l’étude cette écriture il conviendra tout d’abord de montrer
que cette brillante galerie de portraits semble annonciatrice d’un roman
historique, héroïco-tragique. Mais la présence mesurée de la narratrice nous
conduira ensuite à nous interroger sur la dimension ironique de ses
interventions. Il sera alors temps de mettre en évidence une esthétique
originale et exigeante, livrant les clés d’un roman du secret.
- Un ancrage historique immédiat et prégnant.
-Chronotope
indirect.
-Noms des
personnages historiques
L’Histoire
est convoquée à chaque ligne, par les puissants de la Cour, leur noms et leurs
titres. Il s’agit de personnages réels
et le lecteur attend alors les personnages proprement romanesques.
- Des portraits brillants.
-Les
hyperboles : « magnificence », « jamais »,
« tant d’éclat », « pas moins violente », « pas moins
éclatants », « tous les jours », « partout ».
L’hyperbole
structure le texte jusqu’à apparaître comme la seule figure, omniprésente.
-Accumulation
des titres, des reprises de titres et des particules de noblesse.
- Une annonce en creux.
Au sein de
ce décor on cherche en vain la Princesse de Clèves. Son absence semble destinée
à provoquer l’attente du lecteur invité alors à lire en creux des annonces dans
ce début ob ovo digne de la tradition du roman épique et héroïque où les
auteurs tracent d’abord la généalogie des héros avant de les présenter en
action. On remarque alors que se dessine dans le portrait les prémices d’une
tragédie : dans cet univers de Cour, la mort rappelée du Dauphin annonce
une catastrophe. La passion du Roi et la
« dissimulation » de la Reine laissent présager aussi des
péripéties héroïco-tragiques, les témoignages éclatants de la passion pour la
maîtresse s’opposant aux témoignages dissimulés de la jalousie.
Plongé
dans l’histoire et l’éclat de la Cour le lecteur est comme invité à une lecture
en creux de la suite du roman ; son horizon d’attente semble celui d’un roman
héroïque et tragique. Cependant l’ouverture est ambiguë, retardant l’entrée du
personnage éponyme et instaurant une contradiction entre la première phrase et
la dernière du texte, opposant la magnificence et la galanterie à la politique.
Cette ambiguïté n’est-elle pas d’ailleurs commune aux trois portraits ? Dès
lors l’apparent éloge des trois personnages ne tourne-t-il pas au blâme de leur
conduite.
2. Une narratrice ironique ?
- Le portrait d’un roi peu soucieux de régner.
Le
portrait du roi est l’occasion d’une très brève description, trois adjectifs
qui le placent exclusivement sous le signe du corps « bien fait » et
du sentiment « galant » et « amoureux ». Le deuxième
paragraphe semble insister sur le corps et sa prépondérance sur l’esprit
puisque la phrase commence par une circonstancielle de cause « comme il
réussissait admirablement… » qui dicte les occupations du Roi. Le corps
apparaît comme la source du comportement royal. Enfin, les allusions à la mort
du dauphin qui aurait « dignement » remplacé François premier
dévalorisent indirectement Henri II.
- Diane de Poitiers : une grand-mère indigne ?
La
maîtresse du Roi n’est guère favorisée non plus. En effet le personnage n’est
pas décrit. Elle n’est présentée que dans sa position de maîtresse du Roi,
depuis vingt ans, ce qui peut s’entendre comme une allusion à leur différence
d’âge. Cette question de l’âge suscite l’attention du lecteur qui apprend au
deuxième paragraphe qu’elle est grand-mère, et une grand-mère âgée puisque sa
petite fille est en âge de se marier.
Enfin le verbe « apparaître » la place aussi sous le signe des
apparences et non de la vérité. Au final, le ton de la narratrice à son égard
semble plus ironique que bienveillant. Cette ironie à l’égard d’une maîtresse
vieille mais habillée comme sa petite-fille renforce par contrecoup la
dévalorisation du Roi.
- La Reine : une douceur peu amène.
La Reine n’est pas nommée
bien qu’il soit clair pour le lecteur contemporain de Mme de Lafayette qu’il
s’agit de Catherine de Médicis. Sa description physique est brève- comme ce
sera le cas pour tous les personnages du roman. Pourtant le trait de beauté est
immédiatement contrebalancée par l’âge et l’antithèse semble un euphémisme. Au
contraire du Roi c’est sous le signe du
politique que la Reine apparaît, son « humeur ambitieuse » occupe un
paragraphe non sa beauté. Le dernier paragraphe est souvent modalisé, « il
semblait », « il était difficile de juger » car la narratrice
prend de la distance par rapport au personnage historique. C’est pour mieux
faire ressortir les qualités qu’elle lui prête : « une si
profonde dissimulation ». La
phrase non seulement porte l’intensif mais est exempte de modalisation ce qui
par contrecoup annule « semblait » . C’est bien un jugement de
Catherine de Médicis et il n’est pas élogieux.
Mais alors s’il s’agit bien
d’un blâme dissimulé ici, que reste-t-il de l’ouverture promise, de la grandeur
et de l’éclat ? Ce qui se donne à lire est en fait le fruit d’une esthétique,
la préciosité, qui joue sur le lexique, la construction et les figures, la
culture et la complicité du lecteur enfin, comme le bon ton de la conversation
le veut dans les salons.
3. Une esthétique originale qui sollicite le
lecteur.
- Le choix du lexique.
Le lexique
de Mme de Lafayette échappe aux excès précieux que Molière a tournés en
dérision. Mais elle fait un usage subtil de nombreux mots. Ainsi le verbe
paraître est le premier verbe du roman, plaçant celui-ci sous le signe des
apparences et de la superficialité, idée renforcée par l’emploi du verbe deux
fois pour Diane de Poitiers Dualité entre l’extérieur, ce qu’on montre et que
les autres peuvent admirer, cf « admirablement », et ce que l’on
cache mais que la narratrice va dévoiler car elle sait qui
« dissimule ». Notons encore le doublement de
« témoignages », décliné en nom pour le roi et verbe pour la reine,
qui permet une symétrie d’attitude autour de la passion d’Henri II pour sa
maîtresse. L’oxymore « souffrît sans peine » joue également le rôle
de démenti de l’apparent stoïcisme de la reine, par l’utilisation du verbe
souffrir dans une double acception, on peut parler de syllepse.
- Un usage de la subordonnée à des fins ironiques
Le style
de Mme de Lafayette se cache aussi dans sa virtuosité pour enchâsser les
subordonnées et y dissimuler un jugement. Ainsi dans le deuxième paragraphe la
deuxième phrase nous révèle que Diane de Poitiers est une grand-mère âgée,
puisqu’elle a une petite-fille à marier dans la troisième subordonnée, ce qui
crée un effet de chute presque comique. Dans le troisième paragraphe la
troisième phrase contient deux subordonnées circonstancielles de temps et la
seconde contient elle-même deux relatives. C’est dans la dernière relative que
se trouve indirectement par contrecoup une violente critique d’Henri II. En
apparence les informations concernent son frère. Mais le frère devant remplacer
« dignement » son père, Henri II devient moins digne. Il faut
aussi s’interroger sur le possessif
« son » surprenant car le sujet de la principale est Henri II et
grammaticalement « leur » serait plus approprié. Ne faut-il pas dès
lors envisager que la narratrice nie en quelque sorte non seulement la dignité
mais la légitimité d’Henri II ?
- Des informations à double sens
C’est bien le propre de l’esthétique précieuse que
de cacher du sens, de laisser la possibilité d’une double entente, sous le
signe de la litote ou de l’euphémisme. Il faut alors convoquer l’histoire pour
entendre mieux Mme de Lafayette. Ainsi les vingt ans de la passion ne
cachent-ils pas la différence d’âge du roi et de Diane de Poitiers ? L’habileté
du roi n’est-elle pas mise à mal par sa mort en tournoi justement par
maladresse ? L’histoire qui nous enseigne que Diane fut aussi la maîtresse du
père, donne un sens particulier à l’expression « prendre la place de son
père » employée pour le Dauphin quand il s’agit de régner, mais ce fut bel
et bien le cas de Henri II. Enfin le lecteur de l’époque n’ignore pas que la
douceur de la Reine fut responsable du massacre de la Saint-Barthélémy en 1572
, et que son manque de jalousie la conduisit à priver Diane de Poitiers du
château de Chenonceaux et à la chasser de la Cour après la mort du Roi
CONCLUSION
Ce
début de roman semble être le lieu de portraits brillants annonciateurs d’un
roman historique, héroïco- tragique. Cependant la narratrice s’y révèle ironique
voire acerbe. L’esthétique précieuse semble alors exiger un lecteur attentif et
perspicace soucieux de participer à l’élaboration d’un sens qui se dissimule
sous les apparences de la limpidité.
On
peut d’ailleurs voir là la véritable annonce de cette ouverture : La
Princesse de Clèves est un roman du secret sans cesse dévoilé, sans cesse
dissimulé, un roman exigeant.
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Merci pour votre aide!
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