jeudi 15 mai 2014

Plan d'étude chap 19 Candide

Les textes des Lumières contre l'esclavage ne sont pas si nombreux. On connaît le texte de Montesquieu extrait de L'Esprit des lois, et intitulé « De l'Esclavage des nègres », texte ironique mais ambigu au point qu'on l'a retrouvé avec le Code Noir dans certains bateaux négriers, ou encore plus explicite l'article « Traite des Nègres » de l'Encyclopédie, de Jaucourt, tardif puisqu'à la lettre « T ». Rousseau n'écrira pas de texte spécifique. Voltaire y consacre le court chapitre 19 de Candide.

A peine sorti de l'Eldorado avec Cacambo, à peine sorti du paradis en quelque sorte, Candide se heurte à une des terribles abominations de l'Ancien Régime, l'esclavage. Il rencontre aux portes de Surinam, en Guyane hollandaise, un esclave. Dans la tradition du dialogue philosophique celui-ci va lui apprendre sa situation.

Lecture

Petite scène fidèle aux habitudes de Candide, cette rencontre permet un exposé fidèle, concis, vivant de la condition de l'esclave et des aspects de la traite. Nous pourrons ainsi examiner les éléments du dialogue puis le pathétique propre à cette scène.



  1. L'esclavage, le « nègre » : un narrateur hors-pair, un philosophe expert
    1. des conditions terribles régies par le Code Noir
    Les allusions de Voltaire sont transparentes pour qui connaît le Code Noir. Chaque évocation par l'esclave d'un aspect de son existence est une référence au texte juridique institué sous Colbert pour réglementer l'esclavage. La fiction hollandaise laisse donc transparaître une situation française. Ainsi pour les mutilations, l'habit, mais également pour la religion puisque le Code intime aux propriétaires de faire baptiser les esclaves.
Derrière l'apparence d'un exotisme facile, chiens perroquets, fétiches, Voltaire fait donc référence à une situation juridique précise. Mais tout se dit ici à la manière de Voltaire, figures de symétrie, répétitions (« quand nous...)

2. Un commerce
Par ce personnage mutilé et pourtant très clair, Voltaire expose aussi les conditions de la économiques de la traite. Les acteurs sont bien sûr le maître au nom transparent « vendeur à la dent dure » , les parents qui ont vendu leur enfant qui a fait leur « fortune », et le consommateur final, celui qui mange le sucre en Europe. L'esclave est l'expert de son sort. Le dialogue fictif sert un exposé déguisé, mais il demeure vivant, alerte, fait intervenir au style direct la mère, tout en donnant des détails exacts, « côte de Guinée », « écus patagons ».

3.la complicité de la religion
Enfin Voltaire ne manque pas de mettre évidence les inconséquences d'une religion qui prône la fraternité de tous et autorise l 'esclavage. Est-ce une allusion aux conclusions de la Controverse de Valladolid qui accordant une âme, in extremis, aux Indiens d'Amérique, préconise de chercher des esclaves en Afrique ? Là encore l'esclave est un narrateur philosophe, un Candide bis, en plus ironique (« je ne suis pas généalogiste ») dans sa dernière remarque, « Vous m'avouerez... »

Ce personnage de l'esclave est un des jalons de la tradition philosophique, un des sages « naturels »que l'Européen rencontre, tels les rois cannibales de Montaigne, le Tupinamba de Jean de Léry ou le Tahitien de Diderot. Son discours, valable en lui-même comme dénonciation de l'esclavage est aussi une nouvelle bataille gagnée dans la lutte contre l'ennemi philosophique du conte, l'Optimisme.



  1. Une rencontre et deux dialogues
    1. au sein du récit, une rencontre en chemin.
    Le dialogue s'insère dans le parcours de Cacambo et de Candide. On peut comparer la première et la dernière phrase, similitude de construction gérondif passé simple « en approchant (…) ils rencontrèrent » « en pleurant(...)il entra ». Entre les deux, l'esclave et le dialogue.
    2.Un dialogue en cache un autre.
    Le premier, sur l'esclavage et le plus important bien sûr deux questions suffisent et un mot en syllepse, « traité » agir avec, mais aussi comme l'anglais « trade », commercer , est le
    prélude à un échange radical sur l'optimisme.
Cacambo devient le questionneur et Candide le philosophe expert. Une définition dénonciation de l'optimisme « la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal » fait écho à la définition radicale de l'esclavage « à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ».

Le gérondif « en pleurant » marque la progression pathétique du personnage. Candide vient d'abandonner Pangloss et ses dernières illusions. Pourtant il reste de nombreux chapitres et beaucoup de voyages et de récits avant la fin du conte. Cela a fait dire à quelques commentateurs que ce chapitre avait été rajouté, charge oubliée contre l'esclavage peut-être. Toujours est-il que Voltaire y est fidèle à son style, volontairement peu didactique et pourtant assez précis et documenté. Et ce chapitre contre l'esclavage reste aussi un chapitre contre l'Optimisme et la religion.

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