Je
vais encourir bien des reproches. Mais qu'y puis-je ? Est-ce ma faute
si j'eus douze ans quelques mois avant la déclaration de la guerre ?
Sans doute, les troubles qui me vinrent de cette période
extraordinaire furent d'une sorte qu'on n'éprouve jamais à cet âge
; mais comme il n'existe rien d'assez fort pour nous vieillir malgré
les apparences, c'est en enfant que je devais me conduire dans une
aventure où déjà un homme eût éprouvé de l'embarras. Je ne suis
pas le seul. Et mes camarades garderont de cette époque un souvenir
qui n'est pas celui de leurs aînés. Que ceux déjà qui m'en
veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très
jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances.
Nous
habitions à F..., au bord de la Marne.
Mes
parents condamnaient plutôt la camaraderie mixte. La sensualité,
qui naît avec nous et se manifeste encore aveugle, y gagna au lieu
de s'y perdre.
Je
n'ai jamais été un rêveur. Ce qui semble rêve aux autres, plus
crédules, me paraissait à moi aussi réel que le fromage au chat,
malgré la cloche de verre. Pourtant la cloche existe.
La
cloche se cassant, le chat en profite, même si ce sont ses maîtres
qui la cassent et s'y coupent les mains.
Raymond
Radiguet, Le Diable au
corps, 1923.
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