Le Misanthrope, Acte II scène 4 v.567 à 602
Vidéo TNS 33mn20s – 38mn 45
La grande scène de l’acte II est appelée
communément « scène des portraits ». Elle succède à
une dispute où Alceste somme Célimène de se prononcer en sa
faveur, ce qu’elle refuse de faire. Elle donne alors suite à
l’arrivée de deux petits marquis un magnifique numéro d’esprit
et de médisance, confirmant le jugement de Philinte qui l’annonçait
lors de la scène 1 de l’Acte I.
LECTURE
Qu’est-ce que l’art d’être coquette ? Nous
souhaiterions répondre à cette question en étudiant d’abord
l’art du portrait, en examinant ensuite sa portée morale et enfin
en nous interrogeant sur l’usage du monde selon Célimène.
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- Un art du portrait
L’art du portrait
concentre trois qualités : la synthèse, la caricature,
l’esprit.
- Synthèse
Pour faire un bon caractère il ne faut pas hésiter
à recourir à la caricature.
- Caricature
Elle est marquée par une figure majeure :
l’hyperbole. Pour réussir il faut choisir un trait et y réduire
l’individu, ce trait occupant tout l’espace et tout le temps.
Les exemples abondent.
De la tête aux pieds, Partout 572, toujours, 579
- Esprit
L’art est spirituel et le jeu de langage est
habile et tient son secret en deux aspects essentiel : le récit
court et enjoué, les jeux de mots.
Pas de prtrait de plus de dix vers et un art de la
chute (formule conclusive)
« Et ce n’est que bruit que tout ce qu’on
écoute »
« Et jusques au bonjour il dit tout à
l’oreille »
L’art du jeu de mot repose sur les antithèses :
« ne rien dire avec de grands discours »
« sans aucune affaire est toujours affairé »
« De la moindre vétille il fait une merveille ». Les
énumérations relèvent à la fois de l’hyperbole et du jeu sur
les mots « duc prince princesse », « de
chevaux, d’équipage et de chiens ».
Ainsi l’art du portrait est un art du discours.
Quel est son but ? Il semble un art moral qui dessine en creux un art
du « monde » c’est-à-dire de la Cour. Voir p.264-265
un extrait des Caractères 1688 de La Bruyère. Le terme est
employé deux fois 571 et 590
« dans le monde », « il assomme le
monde »
- Un art moral ?
- De petites fables satiriques
Chaque portrait ressemble à une petite fable. Au
contraire des deux courts récits au passé composé d’Acaste et de
Clitandre, parfaitement interchangeables, les portraits de Célimène
sont au présent de vérité générale. Les « on » y
sont fréquents.
Surtout chaque portrait offre en creux une morale.
Pour le barbouillé, il convient à a Cour d’être
toujours mesuré, jamais extravagant.
Pour le raisonneur, il faut parler clairement.
Pour le mystérieux et l’ennuyeux, il faut être
simple.
Comme si Célimène mettait en place un petit
théâtre où le rire vient corriger les mœurs.
- Un petit théâtre
En effet la scène est un théâtre avec ses
spectateurs. On y a disposé des sièges v.561 »des sièges
pour tous », les acteurs offrent des relances « Tiamnte
encore » et Géralde ». Éliante signale qu’il
s’agit d’un jeu « Ce début ». Enfin il y a des
spectateurs muets qu’il ne faut pas oublier, Alceste notamment.
Alors nous rions. Mais ce rire est inquiet car l’art
moral de Célimène pour être comique n’est pas dirigé contre les
vices du temps, mais davantage et plus simplement contre les absents,
les autres, le « prochain ».
- L’esprit contre l’homme
- Le regard des autres
Célimène donne un spectacle. Elle a cinq
spectateurs, deux sont des comparses, l’une commente au troisième,
le dernier se tait. Chaque regard pèse sur le discours. Éliante
définit ce qui se joue :
« contre le prochain
La conversation prend un assez bon train ».
Pour souligner cette importance du regard dans le
film Molière le personnage amoureux de Célimène est dans le
public, travesti en femme et caché.
- Le rire de connivence
Le rire provoqué par Célimène est un rire de
connivence. Il repose sur la complicité. Dans le passage étudié
les deux marquis et Célimène sont en parfait accord. Au début elle
se règle sur leurs jugements. Clitandre dit ridicule elle ajoute
barbouillé, Acaste dit raisonneur elle renchérit parleur étrange.
Puis il suffit d’un nom pour qu’elle développe, l’accord est
parfait. Dans la suite du texte il sera question d’un « ami ».
Mais devant la déception de son public elle le brocardera également.
Ce qui fait rire, c’est le sentiment de supériorit qu’ont les
présents sur les absents. La médisance obtient l’assentiment au
détriment, elle construit l’alliance sur la destruction- verbale-
du prochain. Dès lors l’appartenance au groupe est problématique :
se fait elle par sympathie ou par peur de l’antipathie ?
- La lutte pathétique contre la solitude
Damon était-il plus intelligent que Célimène,
Timante plus insensible et Géralde plus riche ou titré ? Molière
suggère que le rire de Cour est un rire jaloux. La mécanique de la
caricature renforce le conformisme du courtisan mais surtout la
solitude d’êtres qui n’ont pour être ensemble que la peur de se
retrouver seul.
Alceste en deviendrait presque sympathique !
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Cette scène est célèbre à juste titre. Elle
hisse Célimène, le personnage, le rôle et l’actrice à un sommet
artistique, fixant le caractère de la coquette non seulement dans la
beauté et l’élégance mais dans l’esprit de médisance. L’art
du portrait dénonce cependant une grande solitude qui paraîtra au
dénouement lorsqu’ayant bien raillé tout le monde pour s’attirer
toutes les grâces, Célimène n’aura plus que la disgrâce.
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