samedi 22 mars 2014

Acte II, Scène 4

Le Misanthrope, Acte II scène 4 v.567 à 602

Vidéo TNS 33mn20s – 38mn 45

La grande scène de l’acte II est appelée communément « scène des portraits ». Elle succède à une dispute où Alceste somme Célimène de se prononcer en sa faveur, ce qu’elle refuse de faire. Elle donne alors suite à l’arrivée de deux petits marquis un magnifique numéro d’esprit et de médisance, confirmant le jugement de Philinte qui l’annonçait lors de la scène 1 de l’Acte I.
LECTURE
Qu’est-ce que l’art d’être coquette ? Nous souhaiterions répondre à cette question en étudiant d’abord l’art du portrait, en examinant ensuite sa portée morale et enfin en nous interrogeant sur l’usage du monde selon Célimène.

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  1. Un art du portrait
L’art du portrait concentre trois qualités : la synthèse, la caricature, l’esprit.
    1. Synthèse
C’est un art synthétique, il doit en un mot décrire. Chaque personnage est ici perçu sous un nom propre suivi immédiatement de ce qui le caractérise. Cléonte le ridicule, Damon le raisonneur, Timante l’homme mystère, Gérald l’ennuyeux conteur. C’est un art du « caractère » v.585
Pour faire un bon caractère il ne faut pas hésiter à recourir à la caricature.

    1. Caricature
Elle est marquée par une figure majeure : l’hyperbole. Pour réussir il faut choisir un trait et y réduire l’individu, ce trait occupant tout l’espace et tout le temps.
Les exemples abondent.
De la tête aux pieds, Partout 572, toujours, 579

    1. Esprit
L’art est spirituel et le jeu de langage est habile et tient son secret en deux aspects essentiel : le récit court et enjoué, les jeux de mots.
Pas de prtrait de plus de dix vers et un art de la chute (formule conclusive)
« Et ce n’est que bruit que tout ce qu’on écoute »
« Et jusques au bonjour il dit tout à l’oreille »
L’art du jeu de mot repose sur les antithèses : « ne rien dire avec de grands discours »
« sans aucune affaire est toujours affairé » « De la moindre vétille il fait une merveille ». Les énumérations relèvent à la fois de l’hyperbole et du jeu sur les mots « duc prince princesse »,  « de chevaux, d’équipage et de chiens ».

Ainsi l’art du portrait est un art du discours. Quel est son but ? Il semble un art moral qui dessine en creux un art du « monde » c’est-à-dire de la Cour. Voir p.264-265 un extrait des Caractères 1688 de La Bruyère. Le terme est employé deux fois 571 et 590
« dans le monde », « il assomme le monde »

  1. Un art moral ?
    1. De petites fables satiriques
Chaque portrait ressemble à une petite fable. Au contraire des deux courts récits au passé composé d’Acaste et de Clitandre, parfaitement interchangeables, les portraits de Célimène sont au présent de vérité générale. Les « on » y sont fréquents.
Surtout chaque portrait offre en creux une morale.
Pour le barbouillé, il convient à a Cour d’être toujours mesuré, jamais extravagant.
Pour le raisonneur, il faut parler clairement.
Pour le mystérieux et l’ennuyeux, il faut être simple.
Comme si Célimène mettait en place un petit théâtre où le rire vient corriger les mœurs.

    1. Un petit théâtre
En effet la scène est un théâtre avec ses spectateurs. On y a disposé des sièges v.561 »des sièges pour tous », les acteurs offrent des relances « Tiamnte encore » et Géralde ». Éliante signale qu’il s’agit d’un jeu « Ce début ». Enfin il y a des spectateurs muets qu’il ne faut pas oublier, Alceste notamment.

Alors nous rions. Mais ce rire est inquiet car l’art moral de Célimène pour être comique n’est pas dirigé contre les vices du temps, mais davantage et plus simplement contre les absents, les autres, le « prochain ».

  1. L’esprit contre l’homme
    1. Le regard des autres
Célimène donne un spectacle. Elle a cinq spectateurs, deux sont des comparses, l’une commente au troisième, le dernier se tait. Chaque regard pèse sur le discours. Éliante définit ce qui se joue :
« contre le prochain
La conversation prend un assez bon train ».
Pour souligner cette importance du regard dans le film Molière le personnage amoureux de Célimène est dans le public, travesti en femme et caché.

    1. Le rire de connivence
Le rire provoqué par Célimène est un rire de connivence. Il repose sur la complicité. Dans le passage étudié les deux marquis et Célimène sont en parfait accord. Au début elle se règle sur leurs jugements. Clitandre dit ridicule elle ajoute barbouillé, Acaste dit raisonneur elle renchérit parleur étrange. Puis il suffit d’un nom pour qu’elle développe, l’accord est parfait. Dans la suite du texte il sera question d’un « ami ». Mais devant la déception de son public elle le brocardera également. Ce qui fait rire, c’est le sentiment de supériorit qu’ont les présents sur les absents. La médisance obtient l’assentiment au détriment, elle construit l’alliance sur la destruction- verbale- du prochain. Dès lors l’appartenance au groupe est problématique : se fait elle par sympathie ou par peur de l’antipathie ?
    1. La lutte pathétique contre la solitude
Damon était-il plus intelligent que Célimène, Timante plus insensible et Géralde plus riche ou titré ? Molière suggère que le rire de Cour est un rire jaloux. La mécanique de la caricature renforce le conformisme du courtisan mais surtout la solitude d’êtres qui n’ont pour être ensemble que la peur de se retrouver seul.
Alceste en deviendrait presque sympathique !

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Cette scène est célèbre à juste titre. Elle hisse Célimène, le personnage, le rôle et l’actrice à un sommet artistique, fixant le caractère de la coquette non seulement dans la beauté et l’élégance mais dans l’esprit de médisance. L’art du portrait dénonce cependant une grande solitude qui paraîtra au dénouement lorsqu’ayant bien raillé tout le monde pour s’attirer toutes les grâces, Célimène n’aura plus que la disgrâce.

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