lundi 3 février 2014

Le Misanthrope Début de l'exposition

Le Misanthrope Acte I scène 1, vers 1 à 36


Nous sommes ici au tout début, le rideau se lève sur un salon et deux hommes discutent et Alceste est dans un état de colère manifeste. Ce passage est un extrait de la première scène. Il s’agit donc de ce que l’on nomme au théâtre l’exposition. Dans ce moment particulier il faut selon un critique moderne, Pierre Larthomas, Le Langage Dramatique, « définir en la racontant la situation initiale ». Pour Boileau dans L’Art Poétique, l’exposition doit être « claire et complète ». Nous allons donc nous interroger ici sur ce qui confère à ce début ses qualités d’exposition, éclairant le spectateur sur les personnages, leur situation et l’intrigue. Il conviendra d’examiner en premier lieu les caractères qui s’affrontent, puis les valeurs qu’ils mettent en place et enfin de montrer qu’il s’agit d’une scène de comédie.

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Force est de constater que dans ces premiers vers de la pièce très peu d’éléments d’intrigue sont délivrés. La didascalie initiale laissait déjà percevoir un milieu socialement fort homogène, donc pas de mésalliance prévisible, pas de valets destinés à aider de jeunes premiers amoureux. Toutefois un événement vient de se produire : Philinte a salué un homme qu’il ne connaissait pas ce qui provoque la colère d’Alceste, ce qui constitue l’essentiel de l’exposition ici est l’opposition des caractères.
Philinte est un homme calme qui oppose sa modération raisonnable à la passion colérique d’Alceste. Sa fonction est d’abord dramaturgique et avec ses questions il permet à Alceste de s’expliquer. Sa troisième réplique au présent de vérité générale avec le pronom personnel « on » le range dans la catégorie des « raisonneurs ». Il garde son calme, se présente lui-même comme l’ami d’Alceste, et garde le cœur à la plaisanterie. Il emploie un vocabulaire très policé « je vous supplierai », « avoir pour agréable », « s’il vous plaît ».
Alceste est son contraire. C’est l’homme de l’excès, le champion du « trop ».
Sa colère se traduit dans ses mouvements, la didascalie le montre incapable de se contenir. Il s’exprime sur le mode impératif. Le juron « Morbleu » le caractérise et marque une progression par rapport au « Allez » du vers 14. Le langage dénote la colère. Les accumulations « protestations » « offres » « serments », ou « indigne », « lâche », « infâme » accompagnent des tournures hyperboliques : « courez vous cacher » « mourir de pure honte » « ne saurait s’excuser », « accabler de caresses ». Les exemples sont si nombreux que l’on peut conclure que l’hyperbole est la figure de choix du discours d’Alceste. Lui aussi oppose des formules qui ressemblent à des maximes.

En fait cette exposition signale un affrontement de caractères et présente un conflit de valeurs.

La plupart des metteurs en scène ont adopté pour ce début une opposition de caractères marquée par un Philinte calme et un Alceste progressivement furieux. Ainsi Pierre Dux en 1977 à la Comédie Française avec Georges Descrières, fait d4alceste un personnage bruyant et agité. Pourtant Jean-Pierre Miquel en 2000 à la Comédie française avec Denis Podalydès dans le rôle d'Alceste fait le choix inverse. Il conserve l'opposition mais la colère d'Alceste est froide, ironique, méprisante cependant que Philinte s'agace et hausse le ton.

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La vie en société est ainsi au cœur du débat de la pièce. La fréquentation des autres implique un code de politesse.
Philinte manie le code en virtuose et en initié. Il vient de rencontrer un homme qu’Il ne connaît pas, « indifférent », « un homme », « cet homme », et lui a fait un accueil chaleureux « caresses » voire passionné. Derrière les outrances d’Alceste, nous avons ici une saynète : la rencontre, l’échange de serments, la séparation. Ce qu’Alceste dénonce ici bruyamment c’est l’hypocrisie de ces échanges, la duplicité de Philinte. Alceste se fait le champion d’une identité entre le paraître et l’être alors que Philinte en serait l’antithèse. Il emploie ici un vocabulaire juridique qui l’érige en juge des mœurs et prononce un verdict sans appel « pendre à l’instant ». Enfin il édicte sa morale d’homme « d’honneur » « je veux qu’on soit sincère » . La droiture et l’honneur qui sont des thèmes tragiques par excellence se trouvent donc ici au cœur de la pièce qui pourtant demeure une comédie, sans que l’on soit encore sûr du parti de Molière.
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Il s’agit bien d’une scène de comédie.
Donneau de Visé, critique contemporain de Molière parlait à propos du Misanthrope de « rire dans l’âme ». Mais on peut aussi rire à gorge déployée, tout sera question d’interprétation.
Il y a d’abord un comique de situation. La disproportion entre le mime d’Alceste et la scène supposée de Philinte prête à rire. Le vocabulaire tragique mélé aux jurons aux gesticulations d’Alceste est source de comique. Les excès d’Alceste font de lui un pantin agité hors de sa boîte.
Mais le rire naît aussi des reprises de Philinte. Ses jeux de mots traduisent à la fois son calme, son sens de l’à-propos et sont plaisants comme des plaisanteries. Si Alceste fait sourire par sa rigidité, Philinte lui fait sourire par sa plasticité. Le jeu de mot sur « pendable » en est un exemple.
Alceste partage cet esprit et lui aussi plaisante sur le mot « grâce » montrant qu’il appartient à la même culture mais a choisi d’en user autrement. C’est dire si le choix de Molière à cet endroit n’est pas encore clair, Philinte n’est pas non plus exempt de ridicule.

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Le tête-à-tête initial met en scène deux personnages antithétiques et davantage encore deux conceptions de la vie en société. Leur affrontement invite le public à rire et pas seulement dans l’âme. Pourtant la pièce hésitera continuellement entre la gravité des positions d'Alceste et leur ridicule, et les romantiques, par Alfred de Musset pourront s'exclamer à propos du Misanthrope :
« Quelle mâle gaieté, si triste et si profonde
Que, lorsqu'on vient d'en rire, on devrait en pleurer ! »
Musset, « Une Soirée perdue », Poésies Nouvelles, 1852

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