Le passage choisi se situe à la
fin de la quatrième partie, centrale dans le roman qui en comprend
sept (et donc trois avant et trois après). Cette partie couvre deux
mois de grève, du 15/12 à la fin janvier, sur trois mois au total.
La grève qui dure depuis deux mois ne donne aucun résultat et les
esprits s’échauffent à mesure que les ventres se vident. Cette
fin de partie est l’occasion pour Zola de dresser un premier bilan
de ses personnages, et de préparer le déferlement de la cinquième
partie.
LECTURE
Le mouvement de ce passage conduit à s’interroger
sur le sens de cette double description collective et individuelle :
quelles valeurs Zola superpose-t-il ici ? Nous répondrons à cette
question en nous intéressant tout d’abord aux différents aspects
de cette foule en colère, puis en mettant en évidence les effets de
reprise et d’annonce et enfin en dégageant ici les images d’un
christianisme primitif et leur signification.
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La description est faite en deux temps comme le signalent les deux paragraphes. Dans un premier temps le groupe est vu dans son ensemble, désigné par des pluriels «des orateurs», « des têtes », « les êtres », des noms collectifs, « une secte », « cette houle ». Puis le paragraphe examine les individus dans l’accumulation de quinze noms propres qui désignent les mineurs, les enfants, mais également le lapin et l’auberge de Rasseneur. Collectivement comme individuellement c’est la violence qui est mise en scène.
Les verbes portent le mouvement des hommes et des femmes et en soulignent le désordre, « débordé », « gesticulant ». C’est également la confusion dans le discours ramené à un « cri de massacre », ou à une surenchère continue « renchérissait », « parlaient à la fois ». Le chaos dirige la violence sur le groupe lui-même, qui voit La Brûlé gifler Lydie ou la Levaque « s’empoign[er] » avec Philomène. Cette foire d’empoigne contraste vivement avec le silence de la nature.
En effet cette rencontre nocturne a lieu sous la « lune tranquille ». Les oppositions sont nombreuses, le « silence » et le « cri », la « force » et les « misérables », jusqu’aux couleurs « noires sur le ciel blanc ». Ce silence semble volontaire par la personnification, les « hêtres » étaient « debout » et « n’apercevaient ni n’entendaient les êtres misérables(…) à leur pied » . La nature on le voit est un être a part entière et la quasi-homophonie de l’arbre et de l’homme le rappelle poétiquement.
Cette description d’une foule en colère,
chaotique sert aussi le récit parce qu’elle permet à Zola de
faire le point sur ses personnages et de développer son récit sur
le plan narratif et argumentatif.
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L’individualisation est manifeste dans la deuxième partie du
texte. Les noms propres renvoient aux nombreux personnages du roman
et permettent de grossir leur caractère. Les exemples sont nombreux
mais il suffit de citer les Maheu « sortis de leur bon sens »
ce qui rappelle qu’il s’agit d’une famille exemplaire, Zacharie
qui agit « par blague » ou Jeanlin, « glorieux »
de sa violence, exercée sur Bébert et Lydie, et qui exhibe ici un
couteau. Chaque personnage se voit ici rappelé dans ce qui fait sa
caractérisation romanesque. Jusqu’au pleutre Pierron qui « avait
disparu » pour aller faire son rapport. Dans le foisonnement
des personnages du roman, Zola trouve ici un moyen pour rappeler ses
personnages et leurs rôles.
Il en profite aussi pour faire jouer à cette
description un autre rôle narratif, non celui du rappel, mais à
l’opposé celui de l’annonce. Ainsi la Mouquette qui « parlait
de démonter les gendarmes à coup de pied quelquepart » ou la
Brûlé qui « continuait d’allonger des claques dans le
vide » annoncent-elles l’épisode sanglant avec Maigrat. La
lame du couteau de Jeanlin est elle aussi l’annonce de l’assassinat
du jeune soldat breton.
Enfin cette description remplit une fonction
argumentative, perceptible au long du roman, mais explicite ici. En
effet « les têtes, vidées par la famine, voyaient rouge »
et le narrateur met en garde. Ce motif de la « tête vide »
annoncée dès la première page, est repris ici, en apposition, mas
avec une fonction circonstancielle de cause. C’est bien leur tête
vide qui les pousse dans la violence. Zola se fait discrètement
l’avocat de cette foule, exaspérée par la faim.
La description remplit alors au moins
trois fonctions, bilan, annonce et plaidoyer. Elle se veut aussi,
surtout, symbolique.
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Le silence de la nature, si important dans le premier paragraphe peut s’interpréter comme un silence de Dieu lui-même. L’homophonie de « ceignait » semble souligner un malentendu. L’Homme qui a saigné pour les autres, le Christ, a disparu du monde. Le seul esprit qui reste, la nature, se montre ici terriblement distant, incapable de saigner, seulement de ceindre. Abandonnés de Dieu, en pleine déréliction, les mineurs réinventent leur religion, se transforment eux-même en dieux, par « apothéose », nouveau catholicisme, puisque katholikos signifie universel, le mot est employé comme épithète de « bonheur ».
Les mots ne manquent pas pour marquer cette naissance : secte religieuse, foi, miracle, apothéose et universel. La formule du « coup de folie de la foi » apparaît comme une trouvaille par son rythme, ses assonances, son jeu inclusif foi-folie, le chiasme des consonnes LKDFLDLF. Cela semble même une allusion à Saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens
1:18 Car la prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent; mais pour nous qui sommes sauvés, elle est une puissance de Dieu.
Zola serait alors plus indulgent qu’il n’y paraît envers ces farouches et furieux mineurs. Leur folie ne serait folie que pour les non-mineurs, les non-exploités.
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Au final ce que ce texte donne à voir
est certes une foule en proie à une folie destructrice et
vengeresse, une classe dangereuse. Zola y puise un ressort pour son
récit, dans une habile somme doublée d’une relance. Enfin il
livre l’accouchement douloureux d’une religion nouvelle et folle
pour ces hommes et femmes que Dieu a abandonnés et qui meurent de
faim. Mais cette folie n’est folie que pour ceux qui mangent comme
Saint Paul écrivait que la prédication était folie pour ceux qui
ne croyaient pas en Dieu. N’oublions pas que Zola sera l’auteur
d’une tétralogie inachevée, «Les Quatre Évangiles».
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