lundi 3 février 2014

La Didi

CORRECTION DE LA DISSERTATION : GERMINAL.

Sujet : E. Zola, dans un article sur Gustave Flaubert, écrit : « Le romancier naturaliste affecte de disparaître complètement derrière l’action qu’il raconte ». Vous expliquerez et discuterez cette citation en deux parties à propos de Germinal.

Dans Sur le roman, que l'on appelle souvent la préface de Pierre et Jean, Maupassant précise sa volonté de dire “toute la vérité”. Cette volonté commune à tous les écrivains naturalistes est le pilier fondateur de cette école. Dire la vérité, suppose l’objectivité. Ainsi, selon E.Zola, « le romancier naturaliste affecte de disparaître complètement à travers l’action qu’il raconte. » L’auteur ne devrait pas intervenir sous quelque forme que ce soit pour laisser place à sa subjectivité personnelle. Pourtant l’emploi du verbe “affecter” est problématique. Il signifie littéralement : feindre. Il s’agirait alors d’une stratégie : celle de feindre l’objectivité. Zola reconnaît dans cette affirmation la difficulté de s’effacer totalement derrière la langue, de ne laisser aucune place à sa subjectivité personnelle d’écrivain. L’ “histoire” -sous-entendu le récit de la réalité sociale française en cette fin de 19ème siècle- doit se placer au premier plan. Il est nécessaire, avant tout, de “faire voir” la réalité telle qu’elle se présente y compris dans ses aspects les plus sordides. L’auteur de Germinal parvient-il véritablement à remplir ce “contrat” naturaliste ?
Pour répondre à cette question, nous examinerons dans un premier temps, comment dans ce roman, qui retrace une révolte minière dans une région du Nord, l’auteur parvient effectivement à s’effacer complètement derrière l’histoire racontée. Mais il semblerait que cet “effacement” soit insuffisant à créer une œuvre littéraire : cette dernière n’est-elle pas, en effet, imprégnée de l’imaginaire zolien ?

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Le souci d’objectivité de Zola se manifeste sur plusieurs plans. Tout d’abord l’histoire racontée est inspirée d’un fait réel : l’auteur est allé enquêter sur la grève des mineurs d’Anzin qui a défrayé la chronique de son temps. Il y puise plusieurs faits réels : (développer ) fonctionnement de la mine , vie du coron, fonctionnement du capitalisme etc. Il assiste à des réunions syndicales, se fait expliquer le fonctionnement des machines, apprend le vocabulaire technique etc. Ainsi il parvient dès les premières pages du roman à définir un espace géographique précis. L’ameublement des corons , la vie de famille, la réalité du travail à la mine sont également le fruit de cette enquête menée “sur le terrain”. Ce qui permet au romancier naturaliste de parsemer son roman de “petits faits vrais”, souvenons-nous du détail de la soupe repris plusieurs fois : pissenlits etc. Chaque maison est également décrite en fonction de son odeur. Zola fait voir, mais également “sentir” grâce à des descriptions olfactives.. Dans le coron, nous suivons le rythme des saisons grâce aux senteurs de l’été ou du printemps. Ce genre de détails donne plus de vigueur à une scène, force l’imagination du lecteur en lui rappelant des sensations connues. Ce ne sont pas moins de neuf-cent-soixante-deux feuillets préparatoires de notes qui ont permis cette précision. L’auteur disparaît également lorsqu’il expose les différentes théories économiques nouvelles de l’époque : le socialisme modéré de Rasseneur , l’anarchisme de Souvarine, l’internationale de PLuchart. Les réactions des bourgeois qu’ils soient petits : Maigrat -et comment il utilise sa “petite position sociale”- ou grands les Hennebeau : les repas -ils font venir le poisson, le pâtissier etc.-, la vie conjugale du couple (portrait de la bourgeoise qui ne travaille pas et cherche à occuper son temps). Il disparaît également lorsqu’il s’agit d’expliquer la crise économique qui conduit à la réduction des salaires, à la perte d’un pouvoir d’achat déjà extrêmement faible chez le mineur. + La troupe envoyée pour contenir la révolte : de petits paysans qui pourraient passer du côté de la classe ouvrière : discussion avec Lantier sur le terri etc.(Développer tous les aspects de l’œuvre qui vous semblent le plus réaliste possible)
Pour ‘faire voir” au plus près de la réalité, Zola utilise le procédé de la focalisation interne. (Illustrez avec des exemples) Ce dernier plonge le lecteur dans la vision du personnage et permet à l’auteur de “s’effacer”. De même le discours indirect libre est souvent utilisé. Il permet de mélanger la voix du personnage à celle du narrateur sans que celui-ci ait à distribuer la parole. Ainsi lorsque Zola raconte le rituel du soir chez les Maheu, la discussion politique guidée par Etienne, il fait entendre une voix commune : « On travaillait en vraies brutes à un travail qui était la punition des galériens autrefois ». Nulle trace de Zola mais la voix d'une colère que le lecteur peut mettre en regard des conditions dont il a pris connaissance au début en accompagnant Maheu au fond de la mine.
Enfin l’analyse psychologique disparaît de la narration. Zola ne commente jamais les réactions des personnages pour donner son opinion sur leurs actions : il les montre en train d’agir et c’est au lecteur de se forger sa propre opinion. Et dans ce même passage la Maheude dira: « Je ne veux de mal à personne mais il y a des fois où cette injustice me révolte ». Le caractère calme du personnage n'est pas souligné par un jugement, il est indiqué par ses propres paroles comme si le narrateur n'existait pas.
Transition :l’histoire racontée dans Germinal est inspirée de la réalité et cette dernière n’a pas été inventée par Zola. Les actions narrées : vie des corons, grève ouvrière, fonctionnement du capitalisme, vie des bourgeois sont l’exacte duplication de la réalité sociale et économique du XIXème siècle. L’auteur parvient à s’effacer “complètement derrière l’action qu’il raconte”. Pour cela il utilise les procédés littéraires qui conviennent : point de vue interne, discours indirect libre, absence de commentaires. Mais cette enquête sociale parviendrait-elle à produire une œuvre littéraire si elle n’était que cela ?
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Zola semble lui-même reconnaître qu’un romancier ne peut totalement “disparaître” derrière son histoire. Il utilise diverses stratégies pour “affecter” de retranscrire la réalité sans que la médiation du romancier soit visible. Pourtant le récit est bien le résultat d’une réalité traversée par un imaginaire. Germinal, en effet, dépasse largement la simple consignation chronologique d’un mouvement de grève. Il est parcouru de plusieurs mythes dont certains appartiennent à la réalité sociale du temps, d’autres manifestent des préoccupations personnelles de Zola. Par mythe, nous entendons : un système de représentations dans lequel plusieurs éléments convergent qui vont être transmutés en éléments symboliques pour montrer le réel sous une dimension nouvelle et encore inconnue.
Ainsi, Zola manifeste sa présence de romancier lorsqu’il récupère un mythe de l’Antiquité pour parfaire la description du Voreux.
-celui du Minotaure : développer à l’aide d’ex.= perte initiale de Lantier dans la mine qui n’y voit qu‘un enchevêtrement de galeries, monstre dévorateur qui déglutit chaque matin sa ration humaine. Ce mythe offre une structuration toute faite: un héros qui doit être initié Thésée, un monstre et un lieu à combattre. Lantier est au début du roman confronté à un univers où il n’a aucun repère puis progressivement il va acquérir une conscience: conscience de mineur, conscience amoureuse, conscience politique. Il franchit avec plus ou moins de succès -conscience amoureuse- des épreuves qualifiantes qui le renforceront par la suite. (Développer avec à chaque fois une idée, un exemple.)
Première strate du mythe dans Germinal sur lequel le roman se fonde culturellement. Cette culture est bien entendu celle du romancier Zola qui livre sa vision culturellement transformée de la mine.
La seconde strate mythique appartient aussi bien à Zola qu’à une catégorie aisée de son époque. C’est le mythe révolutionnaire qui apparaît dès le titre du roman. En choisissant ce titre, Zola romancier intègre sciemment un tissu de connotations historiques et idéologiques: cf. la commune de Paris qui hante encore les esprits (et la révolution française). Événement amplifié, transformé, “mythifié” dans l’imaginaire politique. Dans Germinal, cet imaginaire imprégné de crainte et de terreur apparaît à plusieurs reprises : -les femmes hystériques (cris, insultes etc.), castratrices ( le sexe de Maigrat sur des piques, comme les têtes de 1789), la femme dénaturée qui s’écarte de son rôle social : celui de la perpétuation des générations.
-foule devenue folle, manipulée par un pouvoir absent et incompréhensible : l’internationale de Pluchart + les interrogations de Grégoire : pourquoi les ouvriers lui feraient-ils du mal ? + les réactions de terreur des bourgeois face à une foule monstrueuse. Dans la même scène où les jeunes filles regardent et livrent en même temps leurs réflexions sur le paroxystique déchaînement des manifestantes, le discours narrativisé, qui permet l’effacement de l’auteur par un narrateur prenant en charge les réflexions des personnages devient ambigu : s’agit-il des réflexions de Zola ou de celles qui regardent la scène ? Zola, lorsqu’il décrit le peuple révolutionnaire ne laisse-t-il pas transparaître ses propres craintes ?
Troisième mythe qui, celui là est davantage un mythe personnel : celui de la fécondité, seul contrepoint à la mort, présente jusqu’à l’extrême fin où Lantier est heureux d’avoir eu des relations avec Catherine alors qu’elle était “femme”. De même la majeure partie du roman est celle de la germination vers une grève qui , certes, avorte mais qui, pourtant est “grosse” des révoltes futures.
C'est à travers ces mythes et leur réalisation poétique dans le langage que resurgit Zola. Ainsi la description du Tartaret mêle mythe, poésie, religion: « le feu du ciel tombant sur cette Sodome des entrailles de la terre, où les herscheuses se souillaient d'abominations ». Les allitérations, la périphrase, le rapprochement d'un vocabulaire technique et moderne avec un passage de la Bible, font de cet extrait de la description d'une mine enflammée, phénomène physique fréquent, un condensé des trouvailles de Zola pour effectuer ce qu'il appelle dans une lettre célèbre à Henri Céard, « le saut dans les étoiles sur le tremplin de l'observation exacte ».


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Zola définit la tâche du romancier naturaliste par la disparition de ce même romancier derrière l’action qu’il raconte. Le romancier doit s’effacer derrière son récit pour faire voir la réalité comme s’il n’existait pas. Pour cela les romanciers naturalistes utilisent des procédés visant à gommer la voix de l’auteur. Mais il est indéniable que cette voix réapparaît dans la dimension symbolique des œuvres qui offre en filigrane l’imaginaire particulier de l’écrivain, « l’écran naturaliste » n’est bien qu’un « coin de la nature vu à travers un tempérament. »

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