CORRECTION
DE LA DISSERTATION : GERMINAL.
Sujet
: E.
Zola, dans un article sur Gustave Flaubert, écrit : « Le
romancier naturaliste affecte de disparaître complètement derrière
l’action qu’il raconte ». Vous expliquerez et discuterez
cette citation en deux parties à propos de Germinal.
Dans
Sur le roman, que
l'on appelle souvent la
préface de Pierre et Jean,
Maupassant précise sa volonté de dire “toute la vérité”.
Cette volonté commune à tous les écrivains naturalistes est le
pilier fondateur de cette école. Dire la vérité, suppose
l’objectivité. Ainsi, selon E.Zola, « le romancier
naturaliste affecte de disparaître complètement à travers l’action
qu’il raconte. » L’auteur ne devrait pas intervenir sous
quelque forme que ce soit pour laisser place à sa subjectivité
personnelle. Pourtant l’emploi du verbe “affecter” est
problématique. Il signifie littéralement : feindre. Il s’agirait
alors d’une stratégie : celle de feindre l’objectivité. Zola
reconnaît dans cette affirmation la difficulté de s’effacer
totalement derrière la langue, de ne laisser aucune place à sa
subjectivité personnelle d’écrivain. L’ “histoire”
-sous-entendu le récit de la réalité sociale française en cette
fin de 19ème siècle- doit se placer au premier plan. Il est
nécessaire, avant tout, de “faire voir” la réalité telle
qu’elle se présente y compris dans ses aspects les plus sordides.
L’auteur de Germinal
parvient-il véritablement à remplir ce “contrat” naturaliste ?
Pour répondre à cette question, nous
examinerons dans un premier temps, comment dans ce roman, qui retrace
une révolte minière dans une région du Nord, l’auteur parvient
effectivement à s’effacer complètement derrière l’histoire
racontée. Mais il semblerait que cet “effacement” soit
insuffisant à créer une œuvre littéraire : cette dernière
n’est-elle pas, en effet, imprégnée de l’imaginaire zolien ?
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Le
souci d’objectivité de Zola se manifeste sur plusieurs plans.
Tout d’abord l’histoire racontée est inspirée d’un fait réel
: l’auteur est allé enquêter sur la grève des mineurs d’Anzin
qui a défrayé la chronique de son temps. Il y puise plusieurs
faits réels : (développer ) fonctionnement de la mine , vie du
coron, fonctionnement du capitalisme etc. Il assiste à des
réunions syndicales, se fait expliquer le fonctionnement des
machines, apprend le vocabulaire technique etc. Ainsi il parvient dès
les premières pages du roman à définir un espace géographique
précis. L’ameublement des corons , la vie de famille, la réalité
du travail à la mine sont également le fruit de cette enquête
menée “sur le terrain”. Ce qui permet au romancier naturaliste
de parsemer son roman de “petits faits vrais”, souvenons-nous du
détail de la soupe repris plusieurs fois : pissenlits etc. Chaque
maison est également décrite en fonction de son odeur. Zola fait
voir, mais également “sentir” grâce à des descriptions
olfactives.. Dans le coron, nous suivons le rythme des saisons grâce
aux senteurs de l’été ou du printemps. Ce genre de détails donne
plus de vigueur à une scène, force l’imagination du lecteur en
lui rappelant des sensations connues. Ce ne sont pas moins de
neuf-cent-soixante-deux feuillets préparatoires de notes qui ont
permis cette précision. L’auteur disparaît également
lorsqu’il expose les différentes théories économiques nouvelles
de l’époque : le socialisme modéré de Rasseneur , l’anarchisme
de Souvarine, l’internationale de PLuchart. Les réactions des
bourgeois qu’ils soient petits : Maigrat -et comment il utilise sa
“petite position sociale”- ou grands les Hennebeau : les repas
-ils font venir le poisson, le pâtissier etc.-, la vie conjugale du
couple (portrait de la bourgeoise qui ne travaille pas et cherche à
occuper son temps). Il disparaît également lorsqu’il s’agit
d’expliquer la crise économique qui conduit à la réduction des
salaires, à la perte d’un pouvoir d’achat déjà extrêmement
faible chez le mineur. + La troupe envoyée pour contenir la révolte
: de petits paysans qui pourraient passer du côté de la classe
ouvrière : discussion avec Lantier sur le terri etc.(Développer
tous les aspects de l’œuvre qui vous semblent le plus réaliste
possible)
Pour
‘faire voir” au plus près de la réalité, Zola utilise le
procédé de la focalisation interne. (Illustrez avec des exemples)
Ce dernier plonge le lecteur dans la vision du personnage et permet
à l’auteur de “s’effacer”. De même le discours indirect
libre est souvent utilisé. Il permet de mélanger la voix du
personnage à celle du narrateur sans que celui-ci ait à distribuer
la parole. Ainsi lorsque Zola raconte le rituel du soir chez les
Maheu, la discussion politique guidée par Etienne, il fait entendre
une voix commune : « On travaillait en vraies brutes à un
travail qui était la punition des galériens autrefois ».
Nulle trace de Zola mais la voix d'une colère que le lecteur peut
mettre en regard des conditions dont il a pris connaissance au début
en accompagnant Maheu au fond de la mine.
Enfin
l’analyse psychologique disparaît de la narration. Zola ne
commente jamais les réactions des personnages pour donner son
opinion sur leurs actions : il les montre en train d’agir et c’est
au lecteur de se forger sa propre opinion. Et dans ce même passage
la Maheude dira: « Je ne veux de mal à personne mais il y a
des fois où cette injustice me révolte ». Le caractère calme
du personnage n'est pas souligné par un jugement, il est indiqué
par ses propres paroles comme si le narrateur n'existait pas.
Transition
:l’histoire racontée
dans Germinal
est inspirée de la réalité et cette dernière n’a pas été
inventée par Zola. Les actions narrées : vie des corons, grève
ouvrière, fonctionnement du capitalisme, vie des bourgeois sont
l’exacte duplication de la réalité sociale et économique du
XIXème siècle. L’auteur parvient à s’effacer “complètement
derrière l’action qu’il raconte”. Pour cela il utilise les
procédés littéraires qui conviennent : point de vue interne,
discours indirect libre, absence de commentaires. Mais cette enquête
sociale parviendrait-elle à produire une œuvre littéraire si elle
n’était que cela ?
XXXXX
Zola
semble lui-même reconnaître qu’un romancier ne peut totalement
“disparaître” derrière son histoire. Il utilise diverses
stratégies pour “affecter” de retranscrire la réalité sans que
la médiation du romancier soit visible. Pourtant le récit est bien
le résultat d’une réalité traversée par un imaginaire.
Germinal,
en effet, dépasse largement la simple consignation chronologique
d’un mouvement de grève. Il est parcouru de plusieurs mythes dont
certains appartiennent à la réalité sociale du temps, d’autres
manifestent des préoccupations personnelles de Zola. Par mythe, nous
entendons : un système de représentations dans lequel plusieurs
éléments convergent qui vont être transmutés en éléments
symboliques pour montrer le réel sous une dimension nouvelle et
encore inconnue.
Ainsi,
Zola manifeste sa présence de romancier lorsqu’il récupère un
mythe de l’Antiquité pour parfaire la description du Voreux.
-celui
du Minotaure : développer à l’aide d’ex.= perte initiale de
Lantier dans la mine qui n’y voit qu‘un enchevêtrement de
galeries, monstre dévorateur qui déglutit chaque matin sa ration
humaine. Ce mythe offre une structuration toute faite: un héros qui
doit être initié Thésée, un monstre et un lieu à combattre.
Lantier est au début du roman confronté à un univers où il n’a
aucun repère puis progressivement il va acquérir une conscience:
conscience de mineur, conscience amoureuse, conscience politique. Il
franchit avec plus ou moins de succès -conscience amoureuse- des
épreuves qualifiantes qui le renforceront par la suite. (Développer
avec à chaque fois une idée, un exemple.)
Première
strate du mythe dans Germinal
sur lequel le roman se fonde culturellement. Cette culture est bien
entendu celle du romancier Zola qui livre sa vision culturellement
transformée de la mine.
La
seconde strate mythique appartient aussi bien à Zola qu’à une
catégorie aisée de son époque. C’est le mythe révolutionnaire
qui apparaît dès le titre du roman. En choisissant ce titre, Zola
romancier intègre sciemment un tissu de connotations historiques et
idéologiques: cf. la commune de Paris qui hante encore les esprits
(et la révolution française). Événement amplifié, transformé,
“mythifié” dans l’imaginaire politique. Dans Germinal,
cet imaginaire imprégné
de crainte et de terreur apparaît à plusieurs reprises : -les
femmes hystériques (cris, insultes etc.), castratrices ( le sexe de
Maigrat sur des piques, comme les têtes de 1789), la femme dénaturée
qui s’écarte de son rôle social : celui de la perpétuation des
générations.
-foule devenue folle, manipulée par un pouvoir absent et
incompréhensible : l’internationale de Pluchart + les
interrogations de Grégoire : pourquoi les ouvriers lui feraient-ils
du mal ? + les réactions de terreur des bourgeois face à une foule
monstrueuse. Dans la même scène où les jeunes filles regardent et
livrent en même temps leurs réflexions sur le paroxystique
déchaînement des manifestantes, le discours narrativisé, qui
permet l’effacement de l’auteur par un narrateur prenant en
charge les réflexions des personnages devient ambigu : s’agit-il
des réflexions de Zola ou de celles qui regardent la scène ? Zola,
lorsqu’il décrit le peuple révolutionnaire ne laisse-t-il pas
transparaître ses propres craintes ?
Troisième
mythe qui, celui là est davantage un mythe personnel : celui de la
fécondité, seul contrepoint à la mort, présente jusqu’à
l’extrême fin où Lantier est heureux d’avoir eu des relations
avec Catherine alors qu’elle était “femme”. De même la
majeure partie du roman est celle de la germination vers une grève
qui , certes, avorte mais qui, pourtant est “grosse” des révoltes
futures.
C'est
à travers ces mythes et leur réalisation poétique dans le langage
que resurgit Zola. Ainsi la description du Tartaret mêle mythe,
poésie, religion: « le
feu du ciel tombant sur cette Sodome des entrailles de la terre, où
les herscheuses se souillaient d'abominations ». Les
allitérations, la périphrase, le rapprochement d'un vocabulaire
technique et moderne avec un passage de la Bible, font de cet extrait
de la description d'une mine enflammée, phénomène physique
fréquent, un condensé des trouvailles de Zola pour effectuer ce
qu'il appelle dans une lettre célèbre à Henri Céard, « le
saut dans les étoiles sur le tremplin de l'observation exacte ».
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Zola
définit la tâche du romancier naturaliste par la disparition de
ce même romancier derrière l’action qu’il raconte. Le
romancier doit s’effacer derrière son récit pour faire voir la
réalité comme s’il n’existait pas. Pour cela les romanciers
naturalistes utilisent des procédés visant à gommer la voix de
l’auteur. Mais il est indéniable que cette voix réapparaît dans
la dimension symbolique des œuvres qui offre en filigrane
l’imaginaire particulier de l’écrivain, « l’écran
naturaliste » n’est bien qu’un « coin de la nature vu à travers un tempérament. »
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