NATHALIE SARRAUTE. LE
PLANETARIUM (1959)
Non vraiment, on aurait beau chercher, on ne
pourrait rien trouver à redire, c’est parfait... une vraie surprise, une
chance... une harmonie exquise, ce rideau
de velours, un velours très épais, du velours de laine de première
qualité, d’un vert profond, sobre et discret... et d’un ton chaud, en même temps, lumineux... Une merveille
contre ce mur beige aux reflets dorés... Et ce mur... Quelle réussite. On
dirait une peau... Il a la douceur d’une peau de chamois... Il faut toujours
exiger ce pochage extrêmement fin, les grains minuscules font comme un duvet...
Mais quel danger, quelle folie de choisir sur des échantillons, dire qu’il s’en
est fallu d’un cheveu -et, comme c’est délicieux maintenant d’y repenser- qu’elle ne prenne le vert
amande. Ou pire que ça, l’autre qui
tirait sur l’émeraude... Ce serait du joli, ce vert bleuté sur ce mur
beige... C’est curieux comme celui-ci, vu sur un petit morceau, paraissait éteint, fané... Que
d’inquiétudes, d’hésitations... Et maintenant c’est évident, c’était juste ce
qu’il fallait... Pas fané le moins du monde, il fait presque éclatant,
chatoyant contre ce mur... exactement pareil à ce qu’elle avait imaginé la
première fois... Cette illumination qu’elle avait eue... après tous ces
efforts, ces recherches -c’était une
vraie obsession, elle ne pensait qu’à cela quand elle regardait n’importe
quoi- et là, devant ce blé vert qui
brillait et ondoyait au soleil sous le
petit vent frais, devant cette meule de paille, ça lui était venu tout d’un
coup... c’était cela -dans des teintes un peu différentes- mais c’était bien là
l’idée... exactement ce qu’il fallait... le rideau en velours vert et le mur
d’un or comme celui de la meule, mais plus étouffé, tirant un peu sur le
beige... maintenant cet éclat, ce chatoiement, cette luminosité, cette exquise
fraîcheur, c’est de là qu’ils viennent aussi, de cette meule et de ce champ,
elle a réussi à leur dérober cela, à le capter, plantée là devant eux sur la
route à les regarder, et elle l’a rapporté ici, dans son petit nid, c’est à
elle maintenant, cela lui appartient, elle s’y caresse, s’y blottit... Elle est faite ainsi, elle le
sait, qu’elle ne peut regarder avec attention, avec amour que ce qu’elle
pourrait s’approprier, que ce qu’elle pourrait posséder...
Nathalie
Sarraute. Le planétarium, 1959. Édition, Folio,
Gallimard.
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