jeudi 24 octobre 2013

Incipit du Planétarium



NATHALIE SARRAUTE.  LE PLANETARIUM (1959)






         Non  vraiment, on aurait beau chercher, on ne pourrait rien trouver à redire, c’est parfait... une vraie surprise, une chance... une harmonie exquise, ce rideau  de velours, un velours très épais, du velours de laine de première qualité, d’un vert profond, sobre et discret... et d’un ton chaud,  en même temps, lumineux... Une merveille contre ce mur beige aux reflets dorés... Et ce mur... Quelle réussite. On dirait une peau... Il a la douceur d’une peau de chamois... Il faut toujours exiger ce pochage extrêmement fin, les grains minuscules font comme un duvet... Mais quel danger, quelle folie de choisir sur des échantillons, dire qu’il s’en est fallu d’un cheveu -et, comme c’est délicieux maintenant  d’y repenser- qu’elle ne prenne le vert amande. Ou pire que ça, l’autre qui  tirait sur l’émeraude... Ce serait du joli, ce vert bleuté sur ce mur beige... C’est curieux comme celui-ci, vu sur un petit  morceau, paraissait éteint, fané... Que d’inquiétudes, d’hésitations... Et maintenant c’est évident, c’était juste ce qu’il fallait... Pas fané le moins du monde, il fait presque éclatant, chatoyant contre ce mur... exactement pareil à ce qu’elle avait imaginé la première fois... Cette illumination qu’elle avait eue... après tous ces efforts, ces recherches  -c’était une vraie obsession, elle ne pensait qu’à cela quand elle regardait n’importe quoi-  et là, devant ce blé vert qui brillait et ondoyait  au soleil sous le petit vent frais, devant cette meule de paille, ça lui était venu tout d’un coup... c’était cela -dans des teintes un peu différentes- mais c’était bien là l’idée... exactement ce qu’il fallait... le rideau en velours vert et le mur d’un or comme celui de la meule, mais plus étouffé, tirant un peu sur le beige... maintenant cet éclat, ce chatoiement, cette luminosité, cette exquise fraîcheur, c’est de là qu’ils viennent aussi, de cette meule et de ce champ, elle a réussi à leur dérober cela, à le capter, plantée là devant eux sur la route à les regarder, et elle l’a rapporté ici, dans son petit nid, c’est à elle maintenant, cela lui appartient, elle s’y caresse, s’y  blottit... Elle est faite ainsi, elle le sait, qu’elle ne peut regarder avec attention, avec amour que ce qu’elle pourrait s’approprier, que ce qu’elle pourrait posséder... 





                                                                        Nathalie Sarraute. Le planétarium, 1959.                                                               Édition, Folio, Gallimard.

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